Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/34

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de la bière, et les prisonniers, derrière les barreaux des grilles, en achetaient et causaient à des amis : c’était, à vrai dire, une scène repoussante, laide, sale et affligeante.

Je remarquai que Wemmick marchait au milieu des prisonniers comme un jardinier marcherait au milieu de ses plantes. Cette idée me vint quand je le vis aborder un grand gaillard qui était arrivé la nuit, et qu’il lui dit :

« Eh bien ! capitaine Tom, nous voilà donc ici ? Ah ! vraiment !… Eh ! n’est-ce pas Black Bill qui est là-bas derrière la fontaine ?… Mais je ne vous ai pas vu depuis deux mois. Comment vous trouvez-vous ici ? »

S’arrêtant devant les barreaux, il écoutait les paroles inquiètes et précipitées des prisonniers, mais ne parlait jamais à plus d’un à la fois. Wemmick, avec sa bouche en forme de boite aux lettres, dans une parfaite immobilité, les regardait pendant qu’ils parlaient comme s’il voulait prendre tout particulièrement note des pas qu’ils avaient fait depuis sa dernière visite vers l’avenir qui les attendait après leur jugement.

Il était très-populaire, et je vis qu’il jouait le rôle familier et bon enfant dans les affaires de M. Jaggers ; bien qu’il y eût dans toute sa personne un peu de la dignité de M. Jaggers, qui empêchait qu’on l’approchât au delà de certaines limites. En reconnaissant successivement chaque client, il leur faisait un signe de tête, arrangeait son chapeau de ses deux mains sur sa tête, pinçait davantage sa bouche, et finissait par remettre ses mains dans ses poches. Une ou deux fois il eut des difficultés à propos des à-comptes sur les honoraires. Alors, s’éloignant le plus possible de l’argent offert en quantité insuffisante, il disait :

« C’est inutile, mon garçon, je ne suis qu’un subor-