Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/365

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comme je l’appelais autrefois, est envolé, Biddy, tout à fait envolé ! »

Cependant je savais, tout en disant cela, que j’avais une secrète intention de visiter seul, ce soir-là, l’emplacement de la vieille maison, et cela en souvenir d’elle. Oui, en souvenir d’Estelle !

J’avais d’abord entendu dire qu’elle menait une vie des plus malheureuses, et qu’elle était séparée de son mari, qui l’avait traitée très-brutalement, et qui avait la réputation d’être un composé d’orgueil, d’avarice, de méchanceté et de petitesse. J’avais appris ensuite la mort de son mari, à la suite d’un accident causé par ses mauvais traitements sur un cheval. Il y avait quelque deux ans que ce bonheur lui était arrivé, et je supposais qu’elle était remariée.

On dînait de bonne heure, chez Joe, et j’avais largement le temps, sans presser ma causerie avec Biddy, d’aller au vieil endroit avant la nuit ; mais, tout en flânant sur le chemin, pour regarder les objets d’autrefois et pour penser au passé, le jour était tout à fait tombé quand j’arrivai.

Il n’y avait plus de maison, plus de brasserie, plus de bâtiments, si ce n’est le mur du vieux jardin. L’espace vide avait été entouré d’une grossière palissade, et, en regardant par-dessus, je vis que quelques branches du vieux lierre avaient repris racine, et poussaient tranquillement en couvrant de leur verdure de petits monceaux de ruines. Une porte de la palissade se trouvant entr’ouverte, je la poussai et j’entrai.

Un brouillard froid et argenté avait voilé l’après-midi, et la lune ne s’était pas encore levée pour le disperser. Mais les étoiles brillaient au-dessus du brouillard et la lune allait paraître et la soirée n’était pas sombre. Je pouvais me retracer l’emplacement de