Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/367

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j’ai été empêchée par bien des circonstances. Pauvre vieille maison ! »

Le brouillard argenté fut effleuré par les premiers rayons de la lune, et les mêmes rayons effleurèrent les larmes qui coulaient de ses yeux. Ignorant que je les voyais, elle dit :

« Vous êtes-vous demandé, en marchant de long en large, comment il se fait que ce terrain soit dans cet état ?

— Oui, Estelle.

— Le terrain m’appartient. C’est le seul bien que je n’aie pas abandonné ; tout le reste m’a quitté petit à petit, mais j’ai gardé ce terrain. Il a été le sujet de la seule résistance décidée que j’aie faite pendant toutes ces années de malheur.

— Doit-on y construire ?

— Oui, on finira par là. Je suis venue ici pour lui faire mes adieux avant ce changement. Et vous, dit-elle du ton d’intérêt touchant avec lequel on parle à une personne qui va s’éloigner, resterez-vous toujours à l’étranger ?

— Toujours.

— Et vous êtes heureux, j’en suis sûre.

— Je travaille beaucoup pour avoir de quoi vivre. Donc, je suis heureux.

— J’ai souvent pensé à vous, dit Estelle.

— Vraiment ?

— Tout dernièrement, très-souvent. Il y eut un temps long et pénible, où j’éloignai de moi le souvenir de ce que j’avais repoussé quand j’ignorais ce que cela valait. Mais depuis, mon devoir n’a plus été incompatible avec ce souvenir, et je lui ai donné une place dans mon cœur.

— Vous avez toujours eu votre place dans mon cœur, » dis-je.