Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous ces préparatifs, je parvins à extraire une tasse de je ne sais quoi pour Estelle.

La note payée, après avoir laissé quelque souvenir au garçon, sans oublier le valet d’écurie et la femme de chambre ; en un mot, ayant semé des pourboires partout sans avoir contenté personne, et la bourse d’Estelle considérablement allégée, nous montâmes dans notre voiture de poste et nous partîmes. Tournant dans Cheapside, et montant la rue de Newgate, nous nous trouvâmes bientôt sous les murs dont j’avais tant de honte.

« Quel est cet endroit ? » demanda Estelle.

D’abord, je voulais faire semblant de ne pas le connaître ; ensuite, je le lui dis. Elle regarda par la portière, puis rentra aussitôt sa tête en murmurant :

« Les misérables ! »

Pour rien au monde, je n’aurais pas alors avoué ma visite.

« M. Jaggers, dis-je, pour changer la conversation, et mettre adroitement Estelle sur une autre voie, passe pour être plus que toute autre personne de Londres dans les secrets de cet affreux endroit.

— Il est plus que personne dans les secrets de tous les endroits, je pense, dit Estelle à voix basse.

— Vous avez été habituée à le voir souvent, je suppose ?

— J’ai été habituée à le voir à des intervalles très-irréguliers, d’aussi longtemps que je m’en souvienne ; mais je ne le connais pas mieux maintenant que je ne le connaissais avant de pouvoir parler. Où en êtes-vous avec lui ? avancez-vous dans son intimité ?

— Une fois accoutumé à ses manières méfiantes, dis-je, je m’y suis assez bien fait.

— Êtes-vous intimes ?