Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/53

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de la réunion que la magnifique phrase suivante : « Messieurs, puisse ce premier accord de bons sentiments régner toujours parmi les Pinsons du Bocage. » Les Pinsons dépensaient follement leur argent. L’hôtel où nous dînions était situé dans Covent Garden, et le premier Pinson que je vis quand j’eus l’honneur de faire partie du Bocage fut Bentley Drummle, qui, à cette époque, se promenait par la ville dans un cabriolet à lui, et causait un dommage considérable aux bornes des coins de rues. Quelquefois il s’élançait de son équipage par-dessus le tablier, la tête la première, et je le vis dans une occasion descendre à la porte du Bocage de cette manière imprévue exactement comme du charbon de terre. Mais ici j’anticipe un peu, car je n’étais pas encore Pinson et ne pouvais l’être, selon les lois jurées par la société, avant ma majorité.

Confiant dans mes propres ressources, j’aurais volontiers pris sur moi les dépenses d’Herbert, mais Herbert était fier, et je ne pouvais lui faire une semblable proposition. Ainsi, il se mettait de tous côtés dans l’embarras, et continuait à se préoccuper vivement des moyens qu’il pourrait trouver pour tâcher d’en sortir. Quand, petit à petit, nous arrivâmes à passer ensemble de longues heures, je remarquai qu’il considérait sa position présente et future d’un œil désespéré au déjeuner ; puis qu’il commençait à la considérer avec un peu plus d’espoir vers midi, qu’il retombait dans ses inquiétudes vers l’heure du dîner ; qu’il semblait apercevoir le capital indispensable assez nettement dans le lointain après le dîner, qu’il le réalisait vers minuit, et que, vers dix heures du matin, le désespoir le reprenait au point qu’il parlait d’acheter une carabine et de partir pour l’Amérique avec l’intention bien arrêtée de forcer les buffles à faire sa fortune.