Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/158

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membres pièce à pièce, et de hurler avec les instruments. Mais alors, je grinçais des dents, je frappais du pied sur le plancher, j’enfonçais mes ongles aigus dans mes mains, je maîtrisais la folie et personne ne se doutait encore que j’étais un fou.

« Je me rappelle… quoique ce soit une des dernières choses que je puisse me rappeler… car maintenant je mêle mes rêves avec les faits réels, et j’ai tant de choses à faire ici et je suis si pressé que je n’ai pas le temps de mettre un peu d’ordre dans cette étrange confusion… je me rappelle comment cela éclata à la fin. Ha ! ha ! il me semble que je vois encore leurs regards effrayés ! Avec quelle facilité je les rejetai loin de moi ; comme je meurtrissais leur visage avec mes poings fermés, et comme je m’enfuis avec la vitesse du vent, les laissant huer et crier bien loin derrière moi. La force d’un géant renaît en moi, lorsque j’y pense. Là ! voyez comme cette barre de fer ploie sous mon étreinte furieuse ! Je pourrais la briser comme un roseau ; mais il y a ici de longues galeries, avec beaucoup de portes, je crois que je ne pourrais pas y trouver mon chemin, et même si je pouvais le trouver, il y a en bas des grilles de fer qu’ils tiennent soigneusement fermées, car ils savent quel fou malin j’ai été, et ils sont fiers de m’avoir pour me montrer aux visiteurs.

« Voyons… oui c’est cela… j’étais allé dehors ; la nuit était avancée quand je rentrai à la maison, et je trouvai le plus orgueilleux des trois orgueilleux frères, qui m’attendait pour me voir. Affaire pressante disait-il : je me le rappelle bien. Je haïssais cet homme avec toute la haine d’un fou ; souvent, bien souvent, mes mains avaient brûlé de le mettre en pièces. On m’apprit qu’il était là ; je montai rapidement l’escalier. Il avait un mot à me dire ; je renvoyai les domestiques.

« Il était tard et nous étions seuls ensemble, pour la première fois !

« D’abord je détournai soigneusement les yeux de dessus lui, car je savais, ce qu’il n’imaginait guère, et je me glorifiais de le savoir… que le feu de la folie brillait dans mes yeux comme une fournaise. — Nous restâmes assis en silence pendant quelques minutes. Il parla à la fin. Mes dissipations récentes et d’étranges remarques, faites aussitôt après la mort de sa sœur, étaient une insulte à sa mémoire. Rassemblant beaucoup de circonstances qui avaient d’abord échappé à ses observations, il pensait que je n’avais pas bien traité la dé-