Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/161

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place, écoutant l’harmonie de mes chaînes de fer, et contemplant mes gambades sur mon lit de paille. »


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À la fin du manuscrit la note suivante était écrite d’une autre main.

« L’infortuné dont on vient de lire les rêveries est un triste exemple du résultat que peuvent avoir des passions effrénées et des excès prolongés, jusqu’à ce que leurs conséquences deviennent irréparables. La dissipation, les débauches répétées de sa jeunesse, amenèrent la fièvre et le délire. Le premier effet de celui-ci fut l’étrange illusion par laquelle il se persuada qu’une folie héréditaire existait dans sa famille. Cette idée, fondée sur une théorie médicale bien connue, mais contestée aussi vivement qu’elle est appuyée, produisit chez lui une humeur atrabilaire qui, avec le temps, dégénéra en folie, et se termina enfin par la fureur. J’ai lieu de croire que les événements racontés par lui sont réellement arrivés, quoiqu’ils aient été défigurés par son imagination malade. Ce qui doit étonner davantage ceux qui ont eu connaissance des vices de sa jeunesse, c’est que ses passions, lorsqu’elles n’ont plus été contrôlées par la raison, ne l’aient point poussé à commettre des crimes encore plus effroyables. »


La chandelle de M. Pickwick s’enfonçait dans la bobèche, précisément au moment où il achevait de lire le manuscrit du vieil ecclésiastique ; et comme la lumière s’éteignit tout d’un coup, sans même avoir vacillé, l’obscurité soudaine fit une impression profonde sur ses nerfs déjà excités. Il tressaillit et ses dents claquèrent de terreur. Ôtant donc avec vivacité les vêtements qu’il avait mis pour se relever, il jeta autour de la chambre un regard craintif et se fourra promptement entre ses draps, où il ne tarda pas à s’endormir.

Lorsqu’il se réveilla, le soleil faisait resplendir tous les objets dans sa chambre et la matinée était déjà avancée. La tristesse qui l’avait accablé le soir précédent s’était dissipée avec les ombres qui obscurcissaient le paysage ; toutes ses pensées, toutes ses sensations étaient aussi gaies et aussi gracieuses que le matin lui-même. Après un solide déjeuner, les quatre philosophes, suivis par un homme qui portait la pierre dans sa boîte de sapin, se dirigèrent à pied vers Gravesend, où leur bagage avait été expédié de Rochester. Ils atteignirent Gravesend vers une heure, et ayant été assez heureux pour trouver