Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/167

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situation ! Faites attention, je vous en prie ! Laissez-moi, madame Bardell, si quelqu’un venait !

— Eh ! que m’importe ? répondit Mme Bardell avec égarement ; je ne vous quitterai jamais ! Cher homme ! excellent cœur ! Et en prononçant ces paroles elle s’attachait à M. Pickwick aussi fortement que la vigne à l’ormeau.

— Le Seigneur ait pitié de moi ! dit M. Pickwick en se débattant de toutes ses forces ; j’entends du monde sur l’escalier. Laissez-moi, ma bonne dame ; je vous en supplie, laissez-moi ! »

Mais les prières, les remontrances étaient également inutiles, car la dame s’était évanouie dans les bras du philosophe, et avant qu’il eût eu le temps de la déposer sur une chaise, master Bardell introduisit dans la chambre MM. Tupman, Winkle et Snodgrass.

M. Pickwick demeura pétrifié. Il était debout, avec son aimable fardeau dans ses bras, et il regardait ses amis d’un air hébété, sans leur faire un signe d’amitié, sans songer à leur donner une explication. Eux, à leur tour, le considéraient avec étonnement, et master Bardell, plein d’inquiétude, examinait tout le monde, sans savoir ce que cela voulait dire.

La surprise des pickwickiens était si étourdissante, et la perplexité de M. Pickwick si terrible, qu’ils auraient pu demeurer exactement dans la même situation relative jusqu’à ce que la dame évanouie eût repris ses sens, si son tendre fils n’avait précipité le dénoûment par une belle et touchante ébullition d’affection filiale. Ce jeune enfant, vêtu d’un costume de velours rayé, orné de gros boutons de cuivre, était d’abord demeuré, incertain et confus, sur le pas de la porte ; mais, par degrés, l’idée que sa mère avait souffert quelque dommage personnel s’empara de son esprit à demi-développé. Considérant M. Pickwick comme l’agresseur, il poussa un cri sauvage, et se précipitant tête baissée, il commença à assaillir cet immortel gentleman aux environs du dos et des jambes, le pinçant et le frappant aussi vigoureusement que le lui permettaient la force de son bras et la violence de son emportement.

« Ôtez-moi ce petit coquin ! s’écria M. Pickwick dans une agonie de désespoir ; il est enragé !

— Qu’est-il donc arrivé ? demandèrent les trois pickwickiens stupéfaits.

— Je n’en sais rien, répondit le Mentor avec dépit ; ôtez-moi cet enfant ! »