Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/176

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puis me flatter d’avoir contribué en quelque chose par mon article de samedi dernier.

— Sans aucun doute, assura le petit homme.

— Monsieur, poursuivit M. Pott, la presse est un puissant engin. »

M. Pickwick donna un assentiment complet à cette proposition.

« Mais je me flatte, monsieur, que je n’ai jamais abusé de l’énorme pouvoir que je possède. Je me flatte, monsieur, que je n’ai jamais dirigé le noble instrument placé entre mes mains par la Providence, contre le sanctuaire inviolable de la vie privée, contre la réputation des individus, cette fleur tendre et fragile. Je me flatte, monsieur, que j’ai dévoué toute mon énergie à… à des efforts… faibles peut-être, oui, j’en conviens, à de faibles efforts, pour inculquer ces principes que… dont… pour lesquels… »

L’éditeur de la Gazette d’Eatanswill paraissant s’embrouiller, M. Pickwick vint à son secours en lui disant :

« Certainement, monsieur.

— Et permettez-moi de vous demander, monsieur, de vous demander comme à un homme impartial ce que le public de Londres pense de ma polémique avec l’Indépendant ? »

M. Perker s’interposa et dit avec un sourire malicieux qui n’était pas tout à fait accidentel :

« Le public de Londres s’y intéresse beaucoup, sans aucun doute.

— Cette polémique, poursuivit le journaliste, sera continuée aussi longtemps qu’il me restera un peu de santé et de force, un peu de ces talents que j’ai reçus de la nature. À cette polémique, monsieur, quoiqu’elle puisse déranger l’esprit des hommes, exaspérer leurs opinions et les rendre incapables de s’occuper des devoirs prosaïques de la vie ordinaire ; à cette polémique, monsieur, je consacrerai toute mon existence, jusqu’à ce que j’aie broyé sous mon pied l’Indépendant d’Eatanswill. Je désire, monsieur, que le peuple de Londres, que le peuple de mon pays sache qu’il peut compter sur moi, que je ne l’abandonnerai point, que je suis résolu, monsieur, à demeurer son champion jusqu’à la fin.

— Votre conduite est très-noble, monsieur, s’écria M. Pickwick, et il secoua chaleureusement la main du magnanime éditeur.

— Je m’aperçois, monsieur, répondit celui-ci, tout essoufflé par la véhémence de sa déclaration patriotique ; je m’aperçois