Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quée qu’une fois enlevés par l’ouragan, tous les trois auraient infailliblement roulé, l’un par-dessus l’autre, jusqu’à ce qu’ils eussent atteint les bornes de la terre, ou jusqu’à ce que le vent se fût apaisé. Or, dans l’une comme dans l’autre hypothèse, il est probable que ni la jument capricieuse, ni Tom Smart, ni la carriole grise aux roues écarlates, n’auraient jamais pu être remis en état de service.

« Par mes sous-pieds et mes favoris ! s’écria Tom Smart (Il avait parfois la mauvaise habitude de jurer) ; par mes sous-pieds et mes favoris ! s’écria Tom, voilà un temps gracieux, que le diable m’évente ! »

On me demandera probablement pourquoi Tom Smart exprimait le vœu d’être éventé sur nouveaux frais, lorsqu’il était soumis à ce genre de traitement depuis si longtemps. Je n’en sais rien : seulement je sais que Tom Smart parla de la sorte, ou du moins raconta à mon oncle, qu’il avait ainsi parlé ; ce qui revient au même.

« Que le diable m’évente ! » dit Tom Smart ; et la jument renifla comme si elle avait été précisément du même avis.

« Allons ! ma vieille fille, reprit Tom, en lui caressant le cou avec le bout de son fouet ; il n’y a pas moyen d’avancer cette nuit. Nous resterons à la première auberge. Ainsi plus tu iras vite, plus vite ça sera fini. Oh ! oh ! bellement ! bellement ! »

La jument capricieuse était-elle assez habituée à la voix de son maître pour comprendre sa pensée, ou trouvait-elle qu’il faisait plus froid à rester en place qu’à marcher, c’est ce que je ne saurais dire ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que Tom avait à peine cessé de parler, qu’elle releva ses oreilles et recommença à trotter. Elle allait grand train et secouait si bien la carriole grise, que Tom s’attendait à chaque instant à voir les rayons rouges de ses roues voler à droite et à gauche, et s’enfoncer dans le sol humide. Tout bon conducteur qu’il était, Tom ne put ralentir sa course jusqu’au moment où la courageuse bête s’arrêta d’elle-même devant une auberge, à main droite de la route, à environ deux milles des collines de Marlborough.

Le voyageur déposa son fouet, et jeta les rênes au valet d’écurie, tout en examinant la maison. C’était un drôle de vieux bâtiment, construit avec une sorte de cailloutage et des poutres entre-croisées. Les fenêtres, surmontées d’un petit toit pointu, s’avançaient sur la route ; la porte était basse, et pour entrer dans la maison, il fallait descendre deux marches assez