Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/247

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quand les cousines reviendraient sur leurs pas, et le rencontreraient face à face, comme cela devait inévitablement arriver au bout d’un certain temps. Toutefois, quoiqu’il n’osât pas les rejoindre, il eût été désolé de les perdre de vue. Aussi, quand elles couraient, il courait ; quand elles marchaient, il marchait ; quand elles s’arrêtaient, il s’arrêtait ; et il aurait pu continuer ce manège jusqu’à ce que la nuit les eût surpris, si la maligne Kate n’avait regardé derrière elle, et n’avait fait à Nathaniel un signe encourageant, pour le déterminer à s’approcher. Il y avait quelque chose d’irrésistible dans les manières de Kate, aussi Nathaniel obéit-il à son invitation. Puis, avec beaucoup de confusion de sa part, et tandis que la méchante petite cousine riait de tout son cœur, Nathaniel Pipkin se mit à genoux sur l’herbe humide, et déclara sa ferme résolution de rester là pour toujours, à moins qu’il ne lui fût permis de se relever comme l’amoureux accepté de Maria Lobbs. À cette déclaration, le rire joyeux de Maria Lobbs retentit à travers la calme atmosphère du soir, sans la troubler néanmoins, tant c’était un son harmonieux. La maligne petite cousine éclata de rire encore plus immodérément, et Nathaniel Pipkin rougit plus que jamais. À la fin, Maria Lobbs, violemment pressée par le petit homme rongé d’amour, détourna la tête, et murmura à sa cousine de dire, ou du moins sa cousine dit pour elle : qu’elle se sentait très-honorée de la demande de M. Pipkin ; que sa main et son cœur étaient à la disposition de son père ; mais que personne ne pouvait être insensible au mérite de monsieur Pipkin. Comme tout cela fut fait avec beaucoup de gravité, et comme Nathaniel Pipkin reconduisit Maria Lobbs et s’efforça de lui dérober un baiser, en partant, il se mit au lit le plus heureux des petits hommes, et rêva toute la nuit qu’il amollissait le vieux Lobbs, recevait la clef du coffre-fort, et épousait Maria.

Le lendemain, Nathaniel vit le sellier partir sur son vieux bidet gris ; il vit, à la croisée, la maligne petite cousine qui lui faisait un grand nombre de signes, auxquels il ne pouvait rien comprendre ; et enfin il vit venir vers lui l’apprenti aux jambes grêles. Celui-ci dit à Nathaniel que son maître ne reviendrait pas avant le lendemain, et que ces dames attendaient M. Pipkin, pour prendre le thé, à six heures précises. Comment les leçons furent récitées ce jour-là, ni Nathaniel Pipkin, ni ses élèves ne le savent mieux que vous : mais elles furent récitées bien ou mal, et lorsque les enfants furent par-