Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un effort désespéré pour rassembler tout son courage, mais ce fut en vain.

Lorsqu’on lit cette courte phrase : « Eh bien, monsieur ? » il ne semble pas qu’elle contienne rien de bien effrayant. Mais le ton de voix dont elle fut prononcée, le regard qui l’accompagna, paraissaient annoncer quelque future vengeance, suspendue par un cheveu sur la tête de l’éditeur, et qui produisit sur lui un effet magique. L’observateur le plus inhabile aurait découvert, dans son maintien troublé, un singulier empressement à céder sa culotte à quiconque aurait consenti à s’y tenir dans ce moment.

Mme Pott lut le paragraphe, poussa un cri déchirant, et se jeta tout de son long sur le tapis du foyer ; là, étendue sur le dos, elle frappa le plancher de ses talons avec une assiduité et une violence qui ne laissaient aucun doute sur la délicatesse de ses sentiments, dans cette occasion.

« Ma chère, balbutia M. Pott, dans sa terreur, ma chère, je n’ai pas dit que je croyais cela. Je… je n’ai pas… » Mais la voix du malheureux mari était couverte par les hurlements de sa gracieuse moitié.

« Madame Pott, reprit M. Winkle, ma chère dame, permettez-moi de vous supplier de vous tranquilliser un peu. » Inutile ! les cris et les coups de talons étaient plus violents et plus fréquents que jamais.

« Ma chère, recommença l’éditeur, je suis bien fâché… Si ce n’est pas pour votre santé, que ce soit pour moi… Vous allez attirer toute la populace autour de notre maison… » Mais plus M. Pott mettait de chaleur dans ses supplications, plus son épouse mettait de vigueur dans ses cris.

Très-heureusement cependant, Mme Pott avait attaché à sa personne une sorte de garde du corps, dans la personne d’une jeune lady dont l’emploi ostensible était de présider à la toilette de sa maîtresse, mais qui se rendait utile d’une infinité d’autres manières, et principalement en aidant cette aimable femme à contrecarrer chaque désir, chaque inclination du malheureux journaliste. Les hurlements hystériques de Mme Pott atteignirent bientôt les oreilles de ladite garde du corps, et l’amenèrent dans le parloir, avec une rapidité qui menaçait de déranger matériellement l’harmonie exquise de son bonnet et de sa chevelure.

« Ô ma chère maîtresse ! ma chère maîtresse ! s’écria la jeune personne, en s’agenouillant d’un air égaré à côté de la