Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/260

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malicieux libelle de l’Indépendant d’Eatanswill, et l’irritation subséquente de leur ami, l’éditeur de la Gazette.

Le front de M. Pickwick s’obscurcit pendant ce récit ; ses amis s’en aperçurent et, lorsque M. Winkle se tut, gardèrent un profond silence. M. Pickwick frappa emphatiquement la table avec son poing fermé, et parla ainsi qu’il suit :

« N’est-ce pas une circonstance étonnante, que nous semblions destinés à ne pouvoir entrer sous le toit d’un homme que pour y porter le trouble avec nous. Je vous le demande, ne dois-je pas croire à l’indiscrétion, ou, bien pis encore, à l’immoralité de mes disciples, lorsque je les vois, dans chaque maison où ils pénètrent, détruire la paix du cœur, le bonheur domestique de quelque femme confiante. N’est-ce pas, je le dis… »

Suivant toutes les probabilités, M. Pickwick aurait continué sur ce ton pendant un certain temps, si l’entrée de Sam avec une lettre n’avait pas interrompu son éloquent discours. Il passa son mouchoir sur son front, ôta ses lunettes, les essuya et les remit sur son nez : c’était assez ; sa voix avait recouvré sa douceur habituelle lorsqu’il demanda : « Qu’est-ce que vous m’apportez là, Sam ?

— Je viens de la poste, monsieur, et j’y ai trouvé cette lettre ici : elle y a attendu deux jours ; elle est cachetée avec un pain enchanté et l’adresse est figurée en ronde.

— Je ne connais pas cette écriture-là, dit M. Pickwick en ouvrant la lettre. Le ciel ait pitié de nous ! qu’est-ce que ceci ? Il faut que ce soit un songe ! Cela… cela ne peut pas être vrai !

— Qu’est-ce que c’est donc ? demandèrent tous les convives.

— Personne de mort ! j’espère ? » dit M. Wardle, alarmé par l’expression d’horreur qui contractait le visage de M. Pickwick.

Le philosophe ne fit pas de réponse, mais passant la lettre par-dessus la table, il pria M. Tupman de la lire tout haut, et se laissa retomber sur sa chaise avec un air d’étonnement et d’égarement, qui faisait peine à voir.

M. Tupman, d’une voix tremblante, lut la lettre ci-dessous rapportée.


« Freeman’s-Court, Cornhill, August, 28e, 1831.

« BARDELL CONTRE PICKWICK.

« Monsieur,

« Ayant été chargés par Mme  Martha Bardell de commencer une action contre vous pour violation d’une promesse de ma-