Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/273

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trai une perdrix empaillée sur un poteau, et je m’exercerai à tirer dessus, en commençant à une petite distance, et en reculant par degrés. C’est un excellent moyen.

— Monsieur, dit Sam, je connais un gentleman qui a fait ça et qui a commencé à quatre pieds ; mais il n’a jamais continué, car du premier coup il avait si bien ajusté son oiseau que le diable m’emporte si on en a jamais revu une plume depuis.

— Sam ! dit M. Pickwick.

— Monsieur ?

— Ayez la bonté de garder vos anecdotes jusqu’à ce qu’on vous les demande.

— Certainement, monsieur. »

Sam se tut, mais il cligna si facétieusement l’œil qui n’était point caché par le pot de bière dont il humectait ses lèvres, que les deux petits paysans tombèrent dans des convulsions spontanées, et que le grand garde-chasse, lui-même, condescendit à sourire.

« Voilà, ma foi, d’excellent punch froid, dit M. Pickwick en regardant avec tendresse la bouteille de grès ; et le jour est extrêmement chaud, et… Tupman, mon cher ami, un verre de punch ?

— Très-volontiers, » répliqua M. Tupman.

Après avoir bu ce verre, M. Pickwick en prit un autre, seulement pour voir s’il n’y avait pas de pelure d’orange dans le punch, parce que la pelure d’orange lui faisait toujours mal. S’étant convaincu qu’il n’y en avait point, M. Pickwick but un autre verre à la santé de M. Snodgrass ; puis il se crut obligé, en conscience, de proposer un toast en l’honneur du fabricant de punch anonyme.

Cette constante succession de verres de punch produisit un effet remarquable sur notre sage. Sa physionomie resplendissait de la plus douce gaieté ; le sourire se jouait sur ses lèvres ; la bonne humeur la plus franche étincelait dans ses yeux. Cédant, par degrés, à l’influence combinée de ce liquide excitant et de la chaleur, il exprima un violent désir de se rappeler une chanson qu’il avait entendue dans son enfance ; mais ses efforts furent inutiles. Il voulut stimuler sa mémoire par un autre verre de punch, qui malheureusement parut produire sur lui un effet entièrement opposé ; car, non content d’avoir oublié la chanson, il finit par ne plus pouvoir articuler une seule parole. Ce fut donc en vain qu’il se leva sur ses jambes pour adresser à la