Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/296

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pouvez-vous savoir du temps où les jeunes gens s’enfermaient dans ces chambres solitaires, et lisaient, et lisaient, heure après heure, nuit après nuit, jusqu’à ce que leur raison fût altérée par leurs études nocturnes, jusqu’à ce que les forces de leur esprit fussent épuisées, jusqu’à ce que la lumière du matin ne leur apportât plus ni fraîcheur ni santé ; si bien qu’ils finissaient par périr après avoir dévoué inutilement leurs jeunes énergies à de vieux bouquins desséchés. Vous, qui êtes venu plus tard, à une époque toute différente, que savez-vous de cet affaissement graduel par une lente consomption, ou de ces ravages rapides de la fièvre, résultat de la débauche et de la dissipation, pour les habitants de ces chambres sombres ? Savez-vous combien de plaideurs, après avoir vainement imploré la merci des hommes de loi, s’en sont allés, le cœur brisé, chercher du repos dans la Tamise ou un refuge dans la prison ? Il n’y a pas un panneau, dans les vieilles boiseries, qui ne pût faire un récit plein d’horreur sur le roman de la vie, de la vie réelle, monsieur ! Tout prosaïques que ces hôtels puissent vous sembler maintenant, je vous dis qu’ils sont remplis d’affreux mystères ; et j’aimerais mieux entendre, à minuit, bien des légendes ornées d’un titre terrible, que la véritable histoire d’une de ces chambres antiques. »

Il y avait quelque chose de si singulier dans l’énergie soudaine du vieillard et dans le sujet qui l’avait réveillé, que M. Pickwick ne trouva point de paroles prêtes pour lui répondre. Cependant le vieillard, réprimant son impétuosité et reprenant l’air goguenard que l’excitation du moment lui avait fait perdre, poursuivit en ces termes :

« Regardez-les sous un autre aspect moins romantique. Quels admirables instruments de lente torture ! Pensez au pauvre homme qui a dépensé tout ce qu’il possédait, qui s’est réduit à la mendicité, qui a rançonné ses amis pour entrer dans une profession où il ne gagnera jamais un morceau de pain. L’attente, l’espoir, le désappointement, la crainte, le malheur, la pauvreté, les espérances anéanties, la carrière perdue, le suicide, peut-être, ou mieux encore, l’ivrognerie en guenilles, en savates ! voilà ce que l’on trouve dans ces sombres demeures. Ne sont-ce pas là de drôles d’hôtels, hein ? »

Le vieillard se frottait les mains en ricanant, enchanté d’avoir placé son sujet favori sous un nouveau point de vue ; M. Pickwick le considérait avec curiosité, et le reste de la compagnie souriait et regardait en silence.