Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il était poussé à cette détermination par des considérations diverses. La première de toutes était le soin de sa réputation auprès du club. Il y avait toujours été regardé comme une autorité imposante dans tous les exercices du corps, soit offensifs, soit défensifs, soit inoffensifs. S’il venait à reculer, dès la première épreuve, sous les yeux de son chef, sa position dans l’association était perdue pour toujours. En second lieu, il se souvenait d’avoir entendu dire (par ceux qui ne sont point initiés à ces mystères) que les témoins se concertent ordinairement pour ne point mettre de balles dans les pistolets. Enfin, il pensait qu’en choisissant M. Snodgrass pour second et en lui dépeignant avec force le danger, ce gentleman pourrait bien en faire part à M. Pickwick ; lequel, assurément, s’empresserait d’informer les autorités locales, dans la crainte de voir tuer ou détériorer son disciple.

Ayant calculé toutes ces chances, il revint dans la salle du café et déclara qu’il acceptait le défi du docteur.

« Voulez-vous m’indiquer un ami, pour régler l’heure et le lieu du rendez-vous, dit alors l’obligeant officier.

— C’est tout à fait inutile. Veuillez me les nommer, et j’amènerai mon témoin avec moi.

— Hé bien ! reprit l’officier d’un ton indifférent, ce soir, si cela vous convient ; au coucher du soleil.

— Très-bien, répliqua M. Winkle, pensant dans son cœur que c’était très-mal.

— Vous connaissez le fort Pitt ?

— Oui, je l’ai vu hier.

— Prenez la peine d’entrer dans le champ qui borde le fossé ; suivez le sentier à gauche quand vous arriverez à un angle des fortifications, et marchez droit devant vous jusqu’à ce que vous m’aperceviez ; vous me suivrez alors et je vous conduirai dans un endroit solitaire où l’affaire pourra se terminer sans crainte d’interruption.

— Crainte d’interruption ! pensa M. Winkle.

— Nous n’avons plus rien, je crois, à arranger ?

— Pas que je sache.

— Alors je vous salue.

— Je vous salue.  » Et l’officier s’en alla lestement en sifflant un air de contredanse.

Le déjeuner de ce jour-là se passa tristement pour nos voyageurs. M. Tupman, après les débauches inaccoutumées de la nuit précédente, n’était point en état de se lever ; M. Snodgrass