Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/384

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après avoir dîné de bonne heure, s’assit dans l’arrière-salle de l’auberge le George et Vautour, pour réfléchir au meilleur emploi possible de cet espace de temps. Il faisait un temps superbe, et Samuel n’avait pas ruminé pendant dix minutes, lorsqu’il sentit tout à coup naître en lui un sentiment filial et affectueux. Le besoin d’aller voir son père et de rendre ses devoirs à sa belle-mère se présenta alors si fortement à son esprit, qu’il fut frappé d’étonnement de n’avoir pas songé plus tôt à cette obligation morale. Impatient de réparer ses torts passés, dans le plus bref délai possible, il gravit les marches de l’escalier, se présenta directement devant M. Pickwick, et lui demanda un congé afin d’exécuter ce louable dessein.

« Certainement, Sam, certainement, » répondit le philosophe, dont les yeux se remplirent de larmes de joie à cette manifestation des bons sentiments de son domestique.

Sam fit une inclination de tête reconnaissante.

« Je suis charmé de voir que vous comprenez si bien vos devoirs de fils.

— Je les ai toujours compris, monsieur.

— C’est une réflexion fort consolante, dit M. Pickwick d’un air approbateur.

— Tout à fait, monsieur. Quand je voulais quelque chose de mon père, je le lui demandais d’une manière très-respectueuse et obligeante ; s’il ne me le donnait pas, je le prenais, dans la crainte d’être enduit à mal faire, si je n’avais pas ce que je voulais. Je lui ai évité comme ça une foule d’embarras, monsieur.

— Ce n’est pas précisément ce que j’entendais, Sam, dit M. Pickwick en secouant la tête avec un léger sourire.

— J’ai agi dans un bon sentiment, monsieur, avec les meilleures intentions du monde, comme disait le gentleman qui avait planté là sa femme, parce qu’elle était malheureuse avec lui…

— Vous pouvez aller, Sam.

— Merci, monsieur. » Et ayant fait son plus beau salut et revêtu ses plus beaux habits, Sam se percha sur l’impériale de l’Hirondelle et se rendit à Dorking.

Le marquis de Granby, du temps de Mme  Weller, pouvait servir de modèle aux meilleures auberges ; assez grande pour qu’on y eût ses coudées franches, assez petite et assez commode pour qu’on s’y crût chez soi. Du côté opposé de la route, un poteau élevé supportait une vaste enseigne, où l’on voyait