Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/391

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pardon du ciel, mais qu’il a bien peur qu’on ne lui ait déjà retenu dans l’autre monde une place où il ne sera pas à son aise. Là-dessus les femelles font un meeting, chantent des hymnes, nomment ta belle-mère présidente, votent une quête pour le dimanche suivant, et repassent tout le quibus au berger. Et si i’ n’a pas eu de quoi payer sa rente d’eau, sa vie durant, dit M. Weller en terminant, je ne suis qu’un Hollandais et tu en es un autre, voilà tout.  »

M. Weller fuma en silence pendant quelques minutes, puis il ajouta  :

«  Le pire de ces bergers, mon garçon, c’est qu’i’ tournent la tête à toutes les jeunes filles. Dieu bénisse leurs petits cœurs  ! elles s’imaginent que c’est tout miel, et elles n’en savent pas plus long. Elles donnent toutes dans la charge, Sammy, elles y donnent toutes.

— Ça me fait cet effet-là, dit Sam.

— Ni pus ni moins, poursuivit M. Weller en secouant gravement la tête  ; et ce qui m’agace le plus, Samivel, c’est de leur voir perdre leur temps et leur belle jeunesse à faire des habits pour des gens cuivrés qui n’en ont pas besoin, sans jamais s’occuper des chrétiens qui ont des couleurs naturelles et qui savent mettre un pantalon. Si j’étais le maître, Sammy, j’attèlerais quelques-uns de ces faignants de bergers à une brouette bien chargée et je la leur ferais monter et descendre, pendant vingt-quatre heures de suite, le long d’une planche de dix-huit pouces de large. Ça leur ôterait un peu de leur bêtise, ou rien n’y réussira.  »

M. Weller, ayant débité cette aimable recette, avec beaucoup d’emphase et une multitude de gestes et de contorsions, vida son verre d’un seul trait, et fit tomber les cendres de sa pipe avec une dignité naturelle.

Il n’avait pas encore terminé cette dernière opération, lorsqu’une voix aigre se fit entendre dans le passage.

«  Voici ta chère belle-mère, Sammy,  » dit-il à son fils, et au même instant Mme  Weller entra, d’un pas affairé, dans la chambre.

«  Oh  ! vous voilà donc revenu  ! s’écria-t-elle.

— Oui, ma chère, répliqua M. Weller en bourrant de nouveau sa pipe.

— M. Stiggins est-il de retour  ? demanda mistress Weller.

— Non, ma chère, répondit M. Weller en allumant ingénieusement sa pipe au moyen d’un charbon embrasé qu’il prit