Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/63

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Quoique cette revanche fut bien motivée, elle était tellement poignante qu’il est impossible d’imaginer de quelle manière se serait exhalé le courroux de la tante, si M. Wardle n’avait pas fait diversion, sans y penser, en criant d’une voix forte :

« Joe ! Damné garçon ! il est encore à dormir !

— Voilà un jeune homme bien extraordinaire, dit M. Pickwick. Est-ce qu’il est toujours assoupi comme cela ?

— Assoupi ! Il dort toujours. Il fait mes commissions en dormant ; et quand il sert à table, il ronfle.

— Bien extraordinaire ! répéta M. Pickwick.

— Ha ! extraordinaire en vérité, reprit le vieux gentleman. Je suis orgueilleux de ce garçon. Je ne voudrais m’en séparer à aucun prix, sur mon âme. C’est une curiosité naturelle. Hé ! Joe ! Joe ! ôtez tout cela, et débouchez une autre bouteille, m’entendez-vous ?  »

Le gros joufflu ouvrit les yeux, avala l’énorme morceau de pâté qu’il était en train de mastiquer lorsqu’il s’était endormi, et tout en exécutant les ordres de son maître, il lorgnait languissamment les débris de la fête, à mesure qu’il les remettait dans la bourriche. La nouvelle bouteille fut débouchée et vidée rapidement : la bourriche fut rattachée à son ancienne place, le gros joufflu remonta sur le siége ; les besicles et les lunettes d’approche furent braquées sur nouveaux frais, et les évolutions des soldats recommencèrent. Il y eut encore un grand tapage de canons et de grandes terreurs de femmes ; puis on fit jouer une mine à l’immense satisfaction de tout le monde ; et quand la mine eut parti, les troupes et les spectateurs suivirent son exemple, et partirent aussi.

À la fin d’une conversation interrompue par les décharges, le vieux gentleman dit à M. Pickwick, en lui secouant la main :

« Souvenez-vous que vous venez tous nous voir demain matin.

— Très certainement, répliqua M. Pickwick.

— Vous avez l’adresse ?

— Manoir-ferme, Dingley-dell, répondit M. Pickwick en consultant son mémorandum.

— C’est cela ; et songez bien que je vous garde au moins une semaine. Je me charge de vous faire voir tout ce qu’il y a de curieux aux environs, et puisque vous voulez étudier la vie champêtre, venez chez moi, je vous en donnerai, en veux-tu, en voilà. Joe ! Damné garçon ! il est encore à dormir. Joe, aidez Tom à mettre les chevaux. »