Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/86

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Je portai au fils emprisonné les paroles de pardon et les bénédictions de sa mère, mais sans lui dire jusqu’à quel point son état était grave : je rapportai au lit de la mourante ses solennelles assurances de repentir et ses supplications ferventes pour obtenir ce pardon. J’écoutai avec une triste compassion les mille projets que le coupable repentant faisait déjà pour soutenir sa mère, pour la rendre heureuse quand il reviendrait de son exil. Et je savais que longtemps avant qu’il eût atteint le but de son voyage elle ne serait plus de ce monde !

Il fut emmené pendant la nuit. Peu de semaines après, l’âme de la pauvre femme prit son vol, et, comme je le crois avec confiance, pour une région de paix et de bonheur éternel. J’accomplis moi-même le service funèbre sur ses restes, qui reposent maintenant dans notre petit cimetière : il n’y a point de pierre à la tête de sa tombe, à quoi bon ? Ses chagrins étaient connus aux hommes et ses vertus à Dieu.

Il avait été convenu, avant le départ du condamné, qu’il écrirait à sa mère aussitôt qu’il en pourrait obtenir la permission, et que ses lettres me seraient adressées, car son père avait positivement refusé de le voir, depuis le moment de son arrestation, et se souciait peu qu’il fût mort ou vivant. Nombre d’années s’écoulèrent sans que je reçusse de ses nouvelles ; et lorsque la moitié de son temps fut passée, j’en conclus qu’il n’existait plus, et en vérité, je le souhaitais presque.

Je me trompais cependant. À son arrivée à Botany-Bay[1], il avait été envoyé dans l’intérieur des terres, et ce fut apparemment pour cela qu’aucune de ses lettres ne me parvint. Il resta au même endroit pendant quatorze années, persévérant constamment dans ses bonnes résolutions, et fidèle aux promesses qu’il avait faites à sa mère. Quand son temps fut fini, il surmonta d’énormes difficultés pour regagner l’Angleterre, et revint à pied au lieu de sa naissance.

Par une belle soirée du mois d’août, John Edmunds rentra dans le village dont il avait été honteusement emmené dix-sept années auparavant. Le chemin qu’il suivait passait au milieu du cimetière, et son cœur se gonfla en le traversant. Les rayons du soleil couchant se jouaient à travers les branches gigantesques des vieux ormes qui réveillaient dans l’esprit du libéré les souvenirs de son jeune âge ; il se rappelait le temps où, s’attachant à la main de sa mère, il se rendait

  1. Colonie pénitentiaire.