Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gaiement à l’église avec elle ; il croyait voir encore son pâle visage ; il croyait sentir les larmes brûlantes qui tombaient sur son front lorsqu’elle se baissait pour l’embrasser, et qui le faisaient pleurer aussi, quoiqu’il ne sût guère alors combien ces larmes étaient remplies d’amertume. Il se rappelait encore combien de fois il avait couru joyeusement dans ce même sentier avec quelques-uns de ses petits camarades, se retournant de temps en temps pour apercevoir le sourire de sa mère, ou pour entendre sa douce voix ; et alors il lui sembla qu’un rideau se tirait dans sa mémoire ; et mille souvenirs de tendresse méconnue et d’avertissements méprisés, de promesses oubliées, vinrent se presser dans son cerveau et déchirer son cœur.

Il entra dans l’église, car c’était un dimanche, et quoique le service du soir fût fini et que les assistants fussent dispersés, la vieille porte de chêne, aux larges clous, n’était point encore fermée. Les pas du convict retentirent sous la voûte, et dans le calme religieux qui régnait autour de lui, il se trouva si isolé qu’il eut presque peur. Il regarda les objets qui l’entouraient : rien n’était changé. L’église lui paraissait plus petite que dans son enfance, mais elle renfermait toujours les vieux monuments qu’il avait contemplés mille fois avec une crainte enfantine. Là se trouvait la petite chaire, ornée du coussin fané où le ministre posait sa bible, et où il avait entendu prêcher la parole de Dieu ; ici la table de communion, devant laquelle il avait si souvent répété, dans son enfance, les commandements qu’il avait oubliés quand il était devenu homme. Il s’approcha de l’ancien banc de sa mère ; le coussin avait été retiré, la bible n’y était point. Il pensa que peut-être Mme Edmunds occupait maintenant un siége plus pauvre, ou que peut-être elle était devenue infirme et ne pouvait plus aller seule jusqu’à l’église. Il n’osait pas arrêter son esprit sur une autre supposition. Une sensation de froid s’empara de lui, et il tremblait de tous ses membres en se détournant pour sortir.

Comme il arrivait sous le porche, il y vit entrer un homme vieux et cassé. Il tressaillit, car il le reconnaissait : souvent il l’avait vu creuser des fosses dans le cimetière derrière l’église : et maintenant qu’est-ce que l’honnête sacristain allait dire au convict libéré ? Le vieillard leva les yeux, le regarda un instant, lui souhaita le bonsoir, et s’éloigna avec lenteur. Il ne l’avait pas reconnu.