Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/92

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— Je voudrais bien qu’il se dépêchât, murmura M. Wardle ; et il appela : Joe ! Joe ! »

Peu de temps après on vit sortir de la maison le gros joufflu, qui, grâce à l’influence excitante de la matinée, n’était guère assoupi qu’aux trois quarts.

« Allez appeler le gentleman, lui dit son maître, et prévenez-le qu’il me trouvera avec M. Pickwick, dans le bois. Vous lui montrerez le chemin, entendez-vous ? »

Joe s’éloigna pour exécuter cette commission, et M. Wardle, portant les deux fusils, conduisit M. Pickwick hors du jardin.

« Voici la place, » dit-il au bout de quelques minutes en s’arrêtant dans une avenue d’arbres. C’était un avertissement inutile, car le croassement continuel des pauvres corneilles indiquait suffisamment leur domicile.

Le vieux gentleman posa l’un des fusils sur la terre et chargea l’autre.

« Voilà nos gens, dit M. Pickwick. Et en effet on aperçut au loin M. Tupman, M. Snodgrass et M. Winkle, car Joe ne sachant pas, au juste, lequel de ces messieurs il devait amener, avait jugé, dans sa sagacité profonde, que pour prévenir toute erreur, le meilleur moyen était de les convoquer tous les trois.

« Arrivez ! arrivez ! cria le vieux gentleman à M. Winkle. Un fameux tireur comme vous aurait dû être prêt depuis longtemps, même pour si peu de chose. »

M. Winkle répondit par un sourire contraint, et ramassa le fusil qui lui était destiné, avec l’expression de physionomie qui aurait pu convenir à une corneille métaphysicienne, tourmentée par le pressentiment d’une mort prochaine et violente. C’était peut-être de l’indifférence, mais cela ressemblait prodigieusement à de l’abattement.

Le vieux gentleman fit un signe, et deux gamins déguenillés commencèrent à grimper lestement sur deux arbres.

« Pourquoi faire ces enfants ? » demanda brusquement M. Pickwick.

Son bon cœur s’était alarmé, car il avait tant entendu parler de la détresse des laboureurs, qu’il n’était pas éloigné de croire que leurs enfants pussent être forcés par la misère, à s’offrir eux-mêmes pour but aux chasseurs, afin d’assurer ainsi à leurs parents une chétive subsistance.

« Seulement pour faire lever le gibier, répondit en riant M. Wardle.