Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/94

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d’angoisse ; mais ce n’était pas le cri d’une corneille. M. Tupman avait sauvé la vie à beaucoup d’innocents oiseaux, en recevant dans son bras gauche une partie de la charge.

Il serait impossible d’exprimer la confusion qui s’en suivit ; de dire comment M. Pickwick, dans les premiers transports de son émotion, appela M. Winkle, misérable ! comment M. Tupman était étendu sur le gazon ; comment M. Winkle, frappé d’horreur, s’était agenouillé auprès de lui ; comment M. Tupman, dans le délire, invoquait plusieurs noms de baptême féminins, puis ouvrait un œil, puis l’autre, et retombait en arrière, en les fermant tous les deux. Une telle scène serait aussi difficile à décrire, qu’il le serait de peindre le malheureux blessé revenant graduellement à lui-même, voyant bander ses plaies avec des mouchoirs, et regagnant lentement la maison, appuyé sur ses amis inquiets.

Les dames étaient sur le seuil de la porte, attendant le retour de ces messieurs pour déjeuner. La tante demoiselle brillait entre toutes ; elle sourit et leur fit signe de venir plus vite. Il était évident qu’elle ne savait point l’accident arrivé. Pauvre créature ! Il y a des moments où l’ignorance est véritablement un bienfait.

On approchait de plus en plus.

« Qu’est-il donc arrivé au vieux petit monsieur ? dit à demi-voix miss Isabella Wardle. La tante demoiselle ne fit pas attention à cette remarque. Elle crut qu’il s’agissait de M. Pickwick ; car à ses yeux, Tracy Tupman était un jeune homme : elle voyait ses années à travers un verre rapetissant.

— Ne vous effrayez point ! cria M. Wardle à ses filles ; et la petite troupe était tellement pressée autour de M. Tupman, qu’on ne pouvait pas encore distinguer clairement la nature de l’événement.

— Ne vous effrayez point, répéta M. Wardle quelques pas plus loin.

— Qu’y a-t-il donc ! s’écrièrent les dames horriblement alarmées par cette précaution.

— Il est arrivé un petit accident à M. Tupman ; voilà tout. »

La tante demoiselle poussa un cri perçant, ferma les yeux et se laissa tomber à la renverse dans les bras des deux jeunes personnes.

« Jetez-lui de l’eau froide au visage, s’écria le vieux gentleman.

— Non ! Non ! murmura la tante demoiselle. Je suis mieux