Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/115

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sultes ; puis si la tranquille fierté de son sexe, et la conscience de son innocence, lui avaient donné la force de résister à ces mauvais traitements, il aurait pu chercher quelque autre manière de lui ôter la vie et de s’en délivrer sans scandale. Mais ni l’un ni l’autre de ces moyens ne s’offrit à l’imagination du prince Bladud ; il se borna donc à solliciter une audience privée de son père, et à lui tout avouer.

« C’est une ancienne prérogative des souverains de gouverner toutes choses, excepté leurs passions. En conséquence le roi Lud se mit dans une colère abominable ; jeta sa couronne au plafond (car dans ce temps-là les rois gardaient leur couronne sur leur tête et non pas dans la Tour) ; trépigna sur le plancher, se frappa le front ; demanda au ciel pourquoi son propre sang se révoltait contre lui, et finalement, appelant ses gardes, leur ordonna d’enfermer son fils dans un donjon : sorte de traitement que les rois d’autrefois employaient généralement envers leurs enfants, quand les inclinations matrimoniales de ceux-ci ne s’accordaient pas avec leurs propres vues.

« Après avoir été enfermé dans son donjon, pendant près d’une année, sans que ses yeux eussent d’autre point de vue qu’un mur de pierre, et son esprit d’autre perspective qu’un perpétuel emprisonnement, le prince Bladud commença naturellement à ruminer un plan d’évasion, grâce auquel, au bout de plusieurs mois de préparatifs, il parvint à s’échapper, laissant avec humanité son couteau de table dans le cœur de son geôlier, de peur que ce pauvre diable, qui avait de la famille, ne fût soupçonné d’avoir favorisé sa fuite, et ne fût puni en conséquence par le roi irrité.

« Le monarque devint presque enragé quand il apprit l’escapade de son fils. Il ne savait sur qui faire tomber son courroux, lorsque heureusement il vint à penser au lord chambellan, qui l’avait ramené d’Athènes. Il lui fit donc retrancher en même temps sa pension et sa tête.

« Cependant le jeune prince, habilement déguisé, errait à pied dans les domaines de son père, soutenu et réjoui dans toutes ses privations par le doux souvenir de la jeune Athénienne, cause innocente de ses malheurs. Un jour, il s’arrêta pour se reposer dans un bourg. On dansait gaiement sur la place, et le plaisir brillait sur tous les visages. Le prince se hasarda à demander quelle était la cause de ces réjouissances.

« Ô étranger, lui répliqua-t-on, ne connaissez-vous pas la récente proclamation de notre gracieux souverain ?