Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/120

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— Qui va là ? cria M. Winkle, en défaisant la chaîne de la porte.

— Ne vous amusez pas à faire des questions, tête de buse, répondit avec dédain le grand homme, s’imaginant avoir affaire à un laquais. Ouvrez la porte.

— Allons dépêchez, l’endormi, » ajouta l’autre d’un ton encourageant.

M. Winkle, qui n’était qu’à moitié éveillé, obéit machinalement à cette invitation, ouvra la porte et regarda dans la rue. La première chose qu’il aperçoit c’est la lueur rouge du falot. Épouvanté par la crainte soudaine que le feu ne soit à la maison, il ouvre la porte toute grande, élève sa chandelle au-dessus de sa tête, et regarde d’un air effaré devant lui, ne sachant pas trop si ce qu’il voit est une chaise à porteurs, ou une pompe à incendie. Dans ce moment un tourbillon de vent arrive ; la chandelle s’éteint ; M. Winkle se sent poussé par derrière, d’une manière irrésistible, et la porte se ferme avec un violent craquement.

« Bien, jeune homme ! c’est habile ! » dit le petit porteur.

M. Winkle, apercevant un visage de femme à la portière de la chaise, se retourne rapidement et se met à frapper le marteau de toute la force de son bras, en suppliant en même temps les porteurs d’emmener la dame.

« Emportez-la ! s’écriait-il, emportez-la ! Dieu ! voilà quelqu’un qui sort d’une autre maison ! Cachez-moi, cachez-moi n’importe où, dans cette chaise. »

En prononçant ces phrases incohérentes, il frissonnait de froid, car chaque fois qu’il levait le bras et le marteau, le vent s’engouffrait sous sa robe de chambre et la soulevait d’une manière très-inquiétante.

« Voilà, une société qui arrive sur la place… il y a des dames ! Couvrez-moi avec quelque chose ! mettez-vous devant moi ! » criait M. Winkle avec angoisses. Mais les porteurs étaient trop occupés de rire pour lui donner la moindre assistance, et cependant les dames s’approchaient de minute en minute.

M. Winkle donna un dernier coup de marteau désespéré… les dames n’étaient plus éloignées que de quelques maisons. Il jeta au loin la chandelle éteinte, que durant tout ce temps il avait tenue au-dessus de sa tête, et s’élança vers la chaise à porteurs, dans laquelle se trouvait toujours mistress Dowler.