Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/145

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L’inquiétude qui l’agitait et les nombreuses méditations qu’avait éveillées dans son esprit le nom d’Arabella, empêchèrent la part qu’il avait prise dans le mortier de produire sur lui l’effet qu’on en aurait pu attendre dans d’autres circonstances. Ainsi, après avoir pris à la buvette de son hôtel un verre d’eau de Seltz et d’eau-de-vie, il entra dans le café, plutôt découragé qu’animé par les aventures de la soirée.

Un grand gentleman, vêtu d’une longue redingote, se trouvait seul dans le café, assis devant le feu, et tournant le dos à M. Winkle. Comme la soirée était assez froide pour la saison, le gentleman rangea sa chaise de côté pour laisser approcher le nouvel arrivant, mais quelle fut l’émotion de M. Winkle, quand ce mouvement lui découvrit le visage du vindicatif et sanguinaire Dowler !

Sa première pensée fut de tirer violemment le cordon de sonnette le plus proche. Malheureusement, ce cordon se trouvait derrière la chaise de son adversaire. Machinalement le brave jeune homme fit un pas pour en saisir la poignée, mais M. Dowler se reculant avec promptitude : « Monsieur Winkle, dit-il, soyez calme. Ne me frappez pas, monsieur, je ne le supporterais point. Un soufflet ? Jamais ! »

Tout en parlant ainsi, M.  Dowler avait l’air beaucoup plus doux que M. Winkle ne l’aurait attendu d’une personne aussi emportée.

« Un soufflet, monsieur ? balbutia M. Winkle.

— Un soufflet, monsieur, répliqua Dowler. Maîtrisez vos premiers mouvements, asseyez-vous, écoutez-moi.

— Monsieur, dit M. Winkle, en tremblant des pieds à la tête, avant que je consente à m’asseoir auprès ou en face de vous, sans la présence d’un garçon, il me faut d’autres assurances de sécurité. Vous m’avez fait des menaces la nuit dernière, monsieur, d’affreuses menaces ! Ici M. Winkle s’arrêta et devint encore plus pâle.

— C’est la vérité, repartit M. Dowler avec un visage presque aussi blanc que celui de son antagoniste. Les circonstances étaient suspectes. Elles ont été expliquées. Je respecte votre courage. Vous avez raison. C’est l’assurance de l’innocence. Voilà ma main, serrez-la.

— Réellement, monsieur, répondit M. Winkle, hésitant à donner sa main, dans la pensée que M. Dowler pourrait bien vouloir le prendre en traître, réellement, monsieur, je…

— Je sais ce que vous voulez dire, interrompit l’autre. Vous