Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/158

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— Eh bien ! miss, il a tout appris par lui, et c’est l’opinion du gouverneur que, si vous ne le voyez pas très-promptement, le carabin dont nous venons de parler recevra assez de plomb dans la tête, pour la détériorer, si on veut jamais la conserver dans de l’esprit de vin.

— Oh ! ciel ! que puis-je faire pour prévenir ces épouvantables querelles ?

— C’est la supposition d’un attachement antérieur qui est la cause de tout, miss. Vous feriez mieux de le voir.

— Mais où ? comment ? s’écria Arabella. Je ne puis quitter la maison toute seule, mon frère est si peu raisonnable, si injuste ! Je sais combien il peut paraître étrange que je vous parle ainsi, M. Weller, mais je suis malheureuse, bien malheureuse !… »

Ici la pauvre Arabella se mit à pleurer amèrement, et Sam devint chevaleresque.

« C’est possible que ça ait l’air étrange, reprit-il avec une grande véhémence, mais tout ce que je puis dire, c’est que je suis disposé à faire l’impossible pour arranger les affaires, et si ça peut être utile de jeter soit l’un soit l’autre des carabins par la fenêtre, je suis votre homme. » En disant ceci, et pour intimer son empressement de se mettre à l’ouvrage, Sam releva ses parements d’habit, au hasard imminent de tomber du haut en bas du mur, pendant cette manifestation.

Quelque flatteuse que fût cette profession de dévouement, Arabella refusa obstinément d’y avoir recours, au grand étonnement de l’héroïque valet. Pendant quelque temps elle refusa, tout aussi courageusement, d’accorder à M. Winkle l’entrevue demandée par Sam d’une manière si pathétique ; mais à la fin, et lorsque la conversation menaçait d’être interrompue par l’arrivée intempestive d’un tiers, elle lui donna rapidement à entendre, avec beaucoup d’expressions de gratitude, qu’il ne serait pas impossible qu’elle se trouvât dans le jardin le lendemain, une heure plus tard. Sam comprit parfaitement la chose ; et Arabella, lui ayant accordé un de ses plus doux sourires, s’éloigna d’un pas leste et gracieux, laissant M. Weller dans une vive admiration de ses charmes, tant spirituels que corporels.

Descendu sans encombre de sa muraille, Sam n’oublia pas de dévouer quelques minutes à ses propres affaires, dans le même département ; puis il retourna directement à l’hôtel du Buisson, où son absence prolongée avait occasionné beaucoup de suppositions et quelques alarmes.