Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/163

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sant de temps en temps son gosier et son travail avec un verre de Bordeaux, qui résidait à côté de lui dans une bouteille vénérable. Pendant les agonies de la composition, le savant gentleman regardait quelquefois le tapis, quelquefois le plafond, quelquefois la muraille ; et quand ni le tapis, ni le plafond, ni la muraille ne lui donnaient le degré nécessaire d’inspiration, il regardait par la fenêtre.

Dans une de ces défaillances de l’invention, notre savant observait avec abstraction les ténèbres extérieures, lorsqu’il fut étrangement surpris en remarquant une lumière très-brillante qui glissait dans les airs, à une petite distance du sol, et qui s’évanouit presque instantanément. Au bout de quelques secondes, le phénomène s’était répété, non pas une fois, ni deux, mais plusieurs.

À la fin, le savant déposa sa plume, et commença à chercher quelle pouvait être la cause naturelle de ces apparences.

Ce n’étaient point des météores, elles luisaient trop bas ; ce n’étaient pas des vers luisants, elles brillaient trop haut. Ce n’étaient point des feux follets, ce n’étaient point des mouches phosphoriques, ce n’étaient point des feux d’artifice ; que pouvait-ce donc être ? Quelque jeu de la nature, étonnant, extraordinaire, qu’aucun philosophe n’avait jamais vu auparavant ; quelque chose que lui seul était destiné à découvrir, et qui, recueilli par lui pour le bénéfice de la postérité, devait immortaliser son nom. Plein de ces idées, le savant saisit de nouveau sa plume, et confia au papier la description exacte et minutieuse de ces apparitions sans exemple, avec la date, le jour, l’heure, la minute, la seconde précise où elles avaient été visibles. C’étaient les premiers matériaux d’un volumineux traité, plein de grandes recherches et de science profonde, qui devait étonner toutes les sociétés météorologiques des contrées civilisées.

Enivré par la contemplation de sa future grandeur, le savant se renversa dans son fauteuil. La mystérieuse lumière reparut, plus brillante que jamais, dansant, en apparence, du haut en bas de la ruelle, passant d’un côté à l’autre, et se mouvant dans une orbite aussi excentrique que celle des comètes elles-mêmes.

Le savant était garçon : ne pouvant appeler sa femme pour l’étonner, il tira la sonnette et fit venir son domestique.

« Pruffle, lui dit-il, il y a cette nuit dans l’air quelque