Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/214

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M. Weller ne fit point de réponse, mais il secoua encore la tête avec une solennité officielle.

« Ne dandinez pas votre coloquinte comme ça, si vous ne voulez pas la démancher tout à fait, poursuivit Sam avec impatience. Comportez-vous raisonnablement. J’ai été vous chercher hier soir au marquis de Granby.

— As-tu vu la marquise de Granby ? dit M. Weller avec un soupir.

— Oui.

— Quelle mine avait la pauvre femme ?

— Fort drôle. J’imagine qu’elle se détériore graduellement avec le rhum et les autres médecines de même nature qu’elle s’administre.

— Tu crois, Sammy ? s’écria M. Weller avec un vif intérêt.

— Oui, bien sûr. »

M. Weller saisit la main de son fils, la serra, puis la laissa retomber ; et durant cette action, sa contenance ne révélait pas la crainte ni la douleur, mais reflétait plutôt la douce expression de l’espérance. Un rayon de résignation et même de contentement passa sur son visage, pendant qu’il disait :

« Je ne suis pas tout à fait sûr et certain de la chose, Sammy ; je ne veux pas trop y compter de peur d’un désappointement subséquent ; mais il me semble, mon garçon, il me semble que le berger a gagné une maladie de foie.

— A-t-il mauvaise mine ?

— Étonnamment pâle, excepté son nez qu’est plus rouge que jamais. Son appétit est médiocre ; mais il imbibe prodigieusement. »

Pendant que M. Weller prononçait ces dernières paroles, quelques idées associées avec le rhum passaient probablement dans son esprit, car son air devint triste et pensif ; mais il se remit presque aussitôt, ce qui fut attesté par tout un alphabet de clignements d’yeux, auxquels il n’avait coutume de se livrer que quand il était particulièrement satisfait.

« Allons, maintenant, arrivons à mon affaire, reprit Sam. Ouvrez-moi vos oreilles, et ne soufflez mot jusqu’à ce que j’aie fini. »

Après ce court exorde, Sam rapporta aussi succinctement qu’il le put la dernière et mémorable conversation qu’il avait eue avec M. Pickwick.

« Pauvre créature ! s’écria M. Weller. Rester là tout seul