Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/294

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sades, une douzaine d’antiques malles-postes, qu’il se rappelait avoir vues là, en fort mauvais état et toutes démantibulées. Mon oncle, gentlemen, était d’un caractère décidé, et avait la tête chaude : ne pouvant pas voir à son aise à travers les pieux, il grimpa par-dessus, et, s’asseyant tranquillement sur un vieux timon, il commença à considérer les débris des carrosses avec une gravité remarquable.

Il y en avait peut-être une douzaine, ou même davantage ; mon oncle n’était pas bien sûr de cela, et comme c’était un homme fort scrupuleux à propos de chiffres, il n’aimait point à en citer à la légère. Enfin ils étaient là tous, pêle-mêle, dans un état de désolation inimaginable. Les portières avaient été arrachées de leurs gonds, les garnitures enlevées ; seulement de distance en distance, une loque pendait encore à un clou rouillé. Les lanternes étaient parties, les timons évanouis depuis longtemps, les ressorts brisés, les boiseries dépouillées de peinture. Le vent sifflait à travers les crevasses, et la pluie, qui s’était amassée sur les impériales, tombait goutte à goutte dans l’intérieur, avec un son lugubre et sourd : c’étaient enfin les squelettes des malles-postes décédées ; et dans cette place solitaire, à cette heure de la mort, elles avaient quelque chose de lugubre et d’horrible.

Mon oncle appuya sa tête sur ses mains, et se mit à penser aux gens actifs, affairés, qui avaient roulé autrefois dans ces vieilles voitures, et qui maintenant étaient aussi silencieux et aussi changés qu’elles-mêmes. Il pensa aux nombreux individus à qui ces carcasses vermoulues avaient apporté, pendant des années, à travers toutes les saisons, tant de nouvelles, impatiemment attendues : nouvelles d’heureux voyage et de bonne santé ; envoi de lettres de change et d’argent. Le marchand, l’amant, l’épouse, la veuve, la mère, l’écolier, le bambin même qui se traînait à la porte, en entendant frapper le facteur ; avec quelle anxiété chacun d’eux avait attendu l’arrivée de cette vieille malle-poste ! Et maintenant, qu’étaient-ils tous devenus ? Gentlemen, mon oncle disait qu’il avait pensé à tout cela ; mais je soupçonne plutôt qu’il l’avait lu depuis dans quelque livre, car il déclarait positivement que, tout en regardant ces squelettes de voitures, il était tombé dans une espèce d’assoupissement, dont il avait été réveillé soudain par une cloche voisine qui sonnait deux heures. Or, mon oncle n’a jamais été distingué pour penser vite, et s’il avait réellement songé à toutes ces choses, je suis convaincu que cela l’aurait