Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 2.djvu/97

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« Mon cher monsieur, dit M. Pickwick, permettez-moi de vous faire observer que vous vous agitez bien inutilement. Je n’ai retenu de places à l’intérieur que pour deux.

— Je suis charmé de le savoir, répondit l’homme féroce. Je retire mes expressions ; acceptez mes excuses. Voici ma carte ; faisons connaissance.

— Avec grand plaisir, répliqua M. Pickwick. Nous devons être compagnons de voyage, et j’espère que nous trouverons mutuellement notre société agréable.

— Je l’espère. J’en suis persuadé. J’aime votre air ; il me plaît. Gentlemen, vos mains et vos noms. Faisons connaissance. »

Nécessairement un échange de salutations amicales suivit ce gracieux discours. Le fier gentleman informa alors nos amis avec le même système de phrases courtes, abruptes, sautillantes, que son nom était Dowler, qu’il allait à Bath pour son plaisir, qu’il était autrefois dans l’armée, que maintenant il s’était mis dans les affaires, comme un gentleman ; qu’il vivait des profits qu’il en tirait, et que la personne pour qui la seconde place avait été retenue par lui, n’était pas une personne moins illustre que Mme Dowler, son épouse.

« C’est une jolie femme, poursuivit-il. J’en suis orgueilleux. J’ai raison de l’être.

— J’espère que nous aurons le plaisir d’en juger, dit M. Pickwick avec un sourire.

— Vous en jugerez. Elle vous connaîtra. Elle vous estimera. Je lui ai fait la cour d’une singulière manière. Je l’ai gagnée par un vœu téméraire. Voilà. Je la vis ; je l’aimai ; je la demandai ; elle me refusa. « Vous en aimez un autre ? — Épargnez ma pudeur. — Je le connais. — Vraiment ? — Certes ; s’il reste ici, je l’écorcherai vif. »

— Diable ! s’écria M. Pickwick involontairement.

— Et… l’avez-vous écorché, monsieur ? demanda M. Winkle en pâlissant.

— Je lui écrivis un mot. Je lui dis que c’était une chose pénible. C’était vrai.

— Certainement, murmura M. Winkle.

— Je dis que j’avais donné ma parole de l’écorcher vif, que mon honneur était engagé, et que, comme officier de Sa Majesté, je n’avais pas d’autre alternative. J’en regrettais la nécessité, mais il fallait que cela se fît. Il se laissa convaincre ; il vit que les règles de service étaient impératives. Il s’enfuit. J’épousai