Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/100

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l’ordre de s’asseoir sur un troisième siège auprès de la porte, de fumer continuellement dans une grosse pipe que le nain avait préparée à son intention, et défense expresse lui fut faite de la retirer de ses lèvres, fût-ce une seule minute, sous quelque prétexte que ce fût. Ces dispositions terminées, M. Quilp promena autour de lui en riant un regard d’ironique satisfaction, s’applaudissant d’avoir introduit ce qu’il appelait du confort dans la maison.

Le coadjuteur, qui portait l’harmonieux nom de Brass, avait deux raisons puissantes pour ne pas juger aussi favorablement ces dispositions : la première, c’est qu’il ne pouvait réussir à se poser convenablement dans son fauteuil à la fois dur, anguleux, glissant et renversé ; la seconde, c’est que la fumée de tabac lui avait toujours causé des étourdissements et des nausées. Mais, comme il était dans la dépendance de M. Quilp, et qu’il lui importait énormément de conserver la protection du nain, il s’efforçait de sourire, pour témoigner de sa docilité, avec la meilleure grâce possible.

Ce Brass était un procureur de Bevis-Marks, à Londres. Sa réputation était assez équivoque. Grand et maigre, il avait le nez fait en forme de loupe, le front bombé, les yeux enfoncés et les cheveux d’un roux fortement accusé. Il portait un long surtout noir, tombant presque jusqu’à ses chevilles, une culotte courte noire, des souliers très-hauts et des bas de coton d’un gris bleu. Ses manières étaient rampantes, mais sa voix rude ; et ses plus gracieux sourires étaient si rebutants, qu’on eût souhaité plutôt de le voir grondeur et refrogné pour qu’il fût moins désagréable.

De temps en temps, Quilp examinait son compagnon, et remarquant avec quelle répugnance ce dernier regardait sa pipe, qu’il tressaillait quand, par hasard, il avalait de la fumée, et qu’il avait soin de chasser le nuage avec dégoût, notre nain ne se sentait pas de joie, et se frottait les mains en signe d’allégresse.

Puis, se tournant vers le jeune commis :

« Chien que vous êtes ! fumez donc ; bourrez votre pipe et fumez vite, jusqu’à la dernière bouffée ; sinon, je mettrai au feu le bout du tuyau et je vous en appliquerai la cire fondue toute rouge sur la langue ! »

Heureusement pour lui, le jeune garçon était rompu à cet exercice, et il eût fumé au besoin un four à chaux si on lui en