Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/125

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Bon Dieu ! qu’il y avait donc de beaux messieurs chevauchant de tous côtés, mais qu’il y en avait peu qui eussent besoin de donner leurs chevaux à garder ! Un brave spéculateur de la Cité, ou bien un membre de quelque commission de statistique du parlement aurait pu calculer, à une fraction près, d’après tous les cavaliers qui galopaient, quelle somme produiraient en un an, dans la ville de Londres, les chevaux qu’on donnerait à garder. Et, sans nul doute, cette somme n’eût pas été méprisable, si la vingtième partie seulement des gentlemen qui n’avaient pas de grooms eût voulu mettre pied à terre ; mais ils n’en faisaient rien ; et souvent il ne faut qu’une misérable bagatelle comme celle-là pour détruire dans leur base les calculs les plus ingénieux.

Kit marchait droit devant lui, tantôt vite, tantôt tout doucement, ralentissant son pas s’il voyait un cavalier modérer l’allure de son cheval et tourner la tête ; ou bien embrassant toute la rue de son regard pénétrant, comme s’il saisissait au loin l’apparition lumineuse d’un cavalier cheminant bien tranquillement à l’ombre, de l’air d’un homme qui à chaque porte promettait de s’arrêter. Mais ils passaient tous l’un après l’autre, sans laisser un penny à gagner après eux. « Je voudrais bien savoir, pensait le jeune homme, si un de ces messieurs, venant à apprendre que nous n’avons rien dans le buffet, ne ferait pas halte tout exprès, et s’il ne feindrait pas d’avoir besoin d’entrer dans une maison, afin de me faire gagner quelque chose. »

Fatigué d’avoir arpenté tant de rues, sans parler de ses désappointements multipliés, il s’était assis sur une marche de porte afin de se reposer un peu, lorsqu’il vit arriver de son côté une petite chaise à quatre roues, aux ressorts grinçants et criards, tirée par un petit poney d’un poil bourru et d’un caractère évidemment indocile, et conduite par un petit vieillard gros et gras, de mine pacifique. Auprès du petit vieillard était assise une petite vieille dame grosse et grasse et pacifique comme lui ; le poney allait à sa fantaisie, ne faisant que ce qui lui passait par la tête. Si le vieux monsieur le gourmandait en secouant les rênes, le poney répliquait en secouant sa tête. Il était aisé de comprendre que tout ce qu’on pourrait obtenir du poney, ce serait qu’il voulût bien suivre une rue que son maître avait des raisons particulières de vouloir enfiler ; mais il paraissait bien