Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/170

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pavillons flottaient aux fenêtres et au sommet des toits. Dans les grandes cours d’auberge, les garçons couraient de tous côtés, se heurtant l’un l’autre ; les chevaux frappaient du pied sur les dalles raboteuses ; on entendait résonner les roues des voitures qu’on remisait ; et les fumets désagréables de nombreuses tables couvertes de dîneurs, apportaient à l’odorat leur lourde et tiède émanation. Dans de plus humbles auberges, les violons criards grinçaient, hors du ton et de la mesure, pour soutenir le pas vacillant des danseurs ; des hommes ivres, oubliant le refrain de leurs chansons, unissaient leurs voix dans un hurlement frénétique qui couvrait jusqu’au son des cloches, véritables sauvages qui ne demandaient qu’à boire ; devant les portes, stationnaient des groupes de flâneurs, pour voir danser quelque traîneuse et joindre le vacarme de leurs clameurs au flageolet aigu et au tambour assourdissant.

À travers cette scène de vertige, l’enfant, effrayée et dégoûtée de tout ce qu’elle voyait, entraînait son grand-père charmé ; elle serrait de près son guide ; elle tremblait d’être séparée du vieillard par la foule et d’avoir à retrouver son chemin toute seule. Grâce à leurs efforts pour se dégager du bruit et du mouvement, ils finirent par traverser les rues et arriver au champ de courses, lande ouverte, située sur une hauteur, à un bon mille des dernières limites de la ville.

Bien qu’il s’y trouvât quantité de gens encore, et pas des plus cossus ni des plus élégants, occupés à dresser des tentes en toute hâte, à enfoncer des pieux en terre, à courir de çà et de là, les pieds pleins de poussière, en poussant d’affreux jurons bien qu’il y eût là des enfants fatigués qu’on avait couchés sur des tas de paille entre les roues des charrettes, et qui pleuraient pour s’endormir ; sans compter de pauvres chevaux maigres et des ânes en liberté, paissant parmi les hommes et les femmes, parmi les pots et les chaudrons, parmi les feux à demi allumés et les bouts de chandelles qui brillaient et coulaient çà et là ; malgré tout cela, Nelly avait plaisir à sentir qu’elle n’était plus dans la ville, et respirait plus à l’aise. Après un souper chétif, dont les frais mirent si bas ses ressources, qu’il lui resta à peine quelques sous pour le déjeuner du lendemain, elle alla avec son grand-père chercher un peu de repos au coin d’une tente, où ils s’endormirent, malgré les bruyants préparatifs qu’on fit autour d’eux durant toute la nuit.