Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/262

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gnon chéri, son grand-père bien-aimé, à cette autre image menteuse qui lui ressemblait tant et lui ressemblait si peu. Elle avait pleuré de le voir faible et presque en enfance… Mais, c’est maintenant qu’elle allait avoir bien plus de motifs de pleurer.

Nelly se tenait assise, roulant toutes ces pensées dans sa tête, jusqu’à ce que le fantôme qui habitait son imagination y grandit dans des proportions si terribles, si effrayantes, que la pauvre enfant eût trouvé quelque douceur à entendre la voix de son grand-père, ou, s’il dormait, seulement à le voir, pour éloigner ainsi un peu les craintes qui se groupaient autour de son image. Elle s’élança vers l’escalier et le corridor. La porte était encore entre-bâillée, comme elle l’avait laissée, la chandelle brûlait toujours.

Nelly avait elle-même sa chandelle à la main. Elle était préparée d’avance à dire, si le vieillard était éveillé, qu’elle se sentait indisposée, qu’elle ne pouvait dormir et qu’elle était venue voir s’il n’avait pas oublié d’éteindre sa chandelle. En jetant un regard dans la chambre, elle reconnut que son grand-père reposait tranquillement dans son lit, ce qui l’enhardit à entrer.

Il s’était endormi promptement. Sur son visage nulle trace de passion ; ni avidité, ni anxiété, ni désir bouillant, mais la douceur, la tranquillité, la paix. Ce n’était plus le joueur, ce n’était plus l’ombre sinistre qui lui était apparue dans sa chambre ; ce n’était pas même l’homme aux traits fatigués et flétris dont elle avait si souvent aperçu avec affliction le visage aux premières lueurs du matin : c’était son cher vieil ami, son innocent compagnon de voyage ; c’était son bon, son bien-aimé grand-père.

Elle n’éprouva donc aucune crainte en considérant ses traits calmes dans le sommeil, mais elle avait au cœur un profond et pénible chagrin qui se soulagea par des larmes.

« Que Dieu le bénisse ! dit-elle en se penchant avec précaution pour baiser la joue du vieillard. Je vois bien maintenant qu’on nous séparerait si l’on nous retrouvait, et qu’on l’enfermerait loin de la lumière du soleil et du ciel. Il n’a plus que moi au monde pour le soutenir. Que Dieu nous assiste tous deux ! »

Elle ralluma sa chandelle qu’elle avait soufflée, se retira en