Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/282

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M. Brass accueillit cette observation avec une douceur exemplaire ; seulement, il fit remarquer à voix basse qu’il n’aimait pas ce genre de plaisanterie, et qu’il saurait un gré infini à miss Sally de vouloir bien s’abstenir de le tourmenter. À quoi miss Sally répliqua qu’elle avait du goût pour cet amusement, et qu’elle n’avait nullement l’intention de se refuser ce petit plaisir.

Comme M. Brass ne paraissait pas se soucier d’envenimer les choses en continuant sur ce sujet, tous deux remirent pacifiquement leur plume en mouvement, et la discussion en resta là.

Tandis qu’ils fonctionnaient à qui mieux mieux, la fenêtre fut tout à coup interceptée, comme si quelqu’un venait de s’y coller. M. Brass et miss Sally levaient les yeux pour reconnaître la cause de cette obscurité soudaine, lorsque le châssis fut lestement soulevé du dehors, et Quilp y passa sa tête.

« Holà ! dit-il en se tenant sur la pointe du pied au bord de la fenêtre et plongeant ses regards dans la chambre, y a-t-il quelqu’un à la boutique ? Y a-t-il ici quelque gibier du diable ? Y a-t-il un Brass à vendre ? hein !

— Ah ! ah ! ah ! fit l’homme de loi avec une hilarité forcée Oh ! parfait ! parfait ! parfait ! Quel homme excentrique ! D’honneur, quelle humeur charmante !

— N’est-ce pas là ma chère Sally ? croassa le nain en lançant une œillade à la belle miss Brass. N’est-ce pas là la Justice, moins son bandeau sur les yeux, son épée et ses balances ? N’est-ce pas là le bras redoutable de la Loi ? N’est-ce pas là la vierge de Bevis ?

— Quelle étonnante verve d’esprit ! s’écria Brass. Sur ma parole, c’est extraordinaire !

— Ouvrez la porte, dit Quilp. Je vous ai amené mon homme C’est le clerc qu’il vous faut, un phénix, l’as d’atout, quoi ! Dépêchez-vous d’ouvrir la porte, ou bien s’il y a près d’ici un autre homme de loi, et si par hasard il est à sa fenêtre, il va vous le voler. »

Il est probable que la perte du phénix des clercs, même en faveur du confrère, d’un rival, n’eût que très-médiocrement affligé le cœur de M. Brass ; toutefois, simulant un grand empressement, il se leva de son siège, alla à la porte, l’ouvrit, et introduisit son client qui tenait par la main M. Richard Swiveller en personne.