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dans son bateau avec Nelly et Kit ; tandis que, pour se venger, le commis du nain se mit à marcher sur les mains, la tête en bas, le long des limites du débarcadère, tout le temps que son maître mit à passer l’eau.

Mistress Quilp était seule au logis et, ne s’attendant pas au retour si prochain de son seigneur et maître, elle avait cherché du repos dans un sommeil bienfaisant, quand le bruit des pas du nain la réveilla en sursaut. À peine avait-elle eu le temps de paraître occupée à quelque travail d’aiguille, lorsqu’il entra, accompagné de la jeune fille. Il avait laissé Kit au bas de l’escalier.

« Voici Nelly Trent, ma chère mistress Quilp, dit le mari. Vite un verre de vin et un biscuit ; car elle a fait une longue course. Elle vous tiendra compagnie ma chère, pendant que je vais écrire une lettre. »

Betzy regarda le maître en tremblant, se demandant ce qu’il pouvait y avoir sous cette affabilité inaccoutumée. Sur l’ordre qu’il lui en donna par signe, elle le suivit dans la chambre voisine.

« Écoutez-moi attentivement, lui dit Quilp à voix basse. Il faut que vous tâchiez de tirer d’elle quelque confidence sur le compte de son grand-père, sur ce qu’ils font, comment ils vivent, sur ce qu’il lui dit. J’ai mes raisons pour savoir tout cela, s’il est possible. Vous autres femmes, vous êtes plus libres entre vous que vous ne le seriez avec nous. Vous particulièrement, ma chère, vous avez de petites manières douces qui réussiront auprès d’elle. Vous m’entendez ?

— Oui, Quilp.

— Allez. Eh bien, qu’est-ce ?

— Cher Quilp, balbutia la jeune femme, j’aime cette enfant ; je voudrais bien, s’il se pouvait, n’avoir pas à la tromper… »

Le nain, marmottant un juron terrible, regarda autour de lui comme s’il cherchait un bâton pour infliger un juste châtiment à l’insoumission de sa femme ; mais celle-ci, avec sa docilité habituelle, s’empressa de conjurer sa colère, et lui promit d’exécuter son ordre.

« Vous m’entendez ! reprit-il lui pinçant et lui serrant le bras. Insinuez-vous dans ses secrets ; vous le pouvez, je le sais. Et souvenez-vous bien que j’écoute. Si vous n’êtes pas assez pressante, je ferai craquer cette porte, et malheur à vous si j’ai besoin de la faire craquer trop souvent !… Allez ! »