Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/68

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ans, à la bonne heure. Le vieux vous semble-t-il devoir vivre plus longtemps que cela ?

— Il ne me fait pas cet effet, répondit Richard en secouant la tête ; mais ces vieilles gens, il ne faut pas s’y fier, Fred. J’ai dans le Dorsetshire une vieille tante qui était, disait-elle, au moment de mourir quand je n’avais que huit ans, et elle n’a pas encore tenu parole. Ces vieux sont si endurcis, si immoraux, si malins ! Tenez, Fred, à moins qu’il n’y ait dans les familles des apoplexies héréditaires, et même, dans ce cas, les chances sont égales pour ou contre, je vous dis qu’il ne faut pas s’y fier.

— Mettons les choses au pis, reprit Trent avec la même fermeté et en fixant les yeux sur son ami ; je suppose que mon grand-père continue de vivre…

— Sans doute ; et voilà le hic !

— Je suppose qu’il continue de vivre. Eh bien ! je déterminerai, ou, si ce mot est plus explicite, je forcerai Nell à contracter un mariage secret avec vous. Que vous semble de ce moyen ?

— Il me semble que je vois là une famille et pas de revenu pour la nourrir, dit Richard après un moment de réflexion.

— Je vous dis, reprit Frédéric avec une chaleur croissante qui, soit réelle soit jouée, n’en agissait pas moins sur l’esprit de son ami ; je vous dis que le vieux ne vit que pour Nelly ; je vous dis que toute son énergie, toutes ses pensées sont pour elle ; qu’il ne la déshériterait pas plus si elle venait à lui désobéir qu’il ne me ferait son héritier si je m’abaissais à lui donner toutes les marques de soumission et de vertu. Pour voir cela, il suffit d’avoir des yeux, et de ne pas les fermer à l’évidence.

— Je ne suis pas éloigné de vous croire.

— Vous feriez mieux de dire que vous en êtes sûr comme moi. Mais écoutez. Afin de mieux amener le vieux à vous pardonner, il faudrait feindre une rupture complète entre nous, une haine à mort ; établissons ce faux semblant, et je gage que le vieux s’y laissera facilement prendre. Quant à Nelly, vous savez ce qu’on dit de la goutte d’eau qui, en tombant toujours à la même place, finit par user la pierre. Vous pouvez vous fier à moi en ce qui la concerne. Ainsi, que le vieux vive ou meure, qu’adviendra-t-il en tout cas ? Que vous serez l’unique héritier de toute la fortune de cet opulent Harpagon, d’une fortune que nous dépen-