Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/81

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vif intérêt M. Cheggs qui, à quelque distance, absorbait à longs traits un verre de limonade.

« Je suis venu ici, dit Richard, oubliant un peu le dessein qui l’avait réellement amené, je suis venu avec le cœur épanoui, dilaté, avec des sentiments conformes à cette disposition. Je sors avec des pensées qui peuvent se concevoir, mais qui ne sauraient s’exprimer ; j’emporte la conviction désolante que mes plus chères affections ont reçu ce soir le coup de grâce.

— Assurément, je ne vous comprends pas, monsieur Swiveller, dit miss Sophie, les yeux baissés ; je regrette que…

— Des regrets, madame ! dit Richard ; des regrets, quand vous restez en possession d’un M. Cheggs ! Mais je vous souhaite une bonne nuit. En me retirant, je me bornerai à vous faire une petite confidence : il existe une toute jeune fille, qu’on élève à la brochette en ce moment pour moi ; elle possède non-seulement de grands charmes, mais encore une grande fortune ; elle a prié son plus proche parent de solliciter mon alliance ; et, par considération pour plusieurs membres de sa famille, j’y ai consenti. Je suis certain que vous apprendrez avec plaisir ce fait consolant, qu’une jeune et aimable personne n’attend que le moment d’être femme pour s’unir à moi, et se dépêche de grandir chaque jour pour hâter cet heureux moment. J’ai cru devoir vous en dire quelque chose. Il ne me reste plus qu’à m’excuser d’avoir abusé si longtemps de votre attention. Bonsoir. »

« Tout ceci aura d’excellentes conséquences, se dit Richard Swiveller quand il fut rentré chez lui, tout en posant l’éteignoir sur sa chandelle ; ainsi, je me lance de cœur et d’âme, tête baissée, avec Fred, dans son projet à l’endroit de la petite Nelly ; il sera charmé de me trouver si ardent à le seconder. Demain il saura tout ; en attendant, comme il est un peu tard, je vais tâcher de demander au sommeil le baume de mes peines. »

Le baume de ses peines ne se fit pas attendre. Au bout de quelques minutes, Swiveller était endormi, et il rêvait qu’il avait épousé Nelly Trent, qu’il était maître de sa fortune, et que, pour premier acte d’autorité, il avait dévasté et converti en un four à chaux la pépinière de M. Cheggs.