Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/89

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joué quand vous teniez les cartes et ne m’en montriez que le revers. Vous n’avez plus de secret pour moi. »

Le vieillard le considéra tout tremblant.

« Vous êtes surpris ! … dit le nain, cela peut se concevoir. Non, vous n’avez plus de secret pour moi. Je sais maintenant que tous les prêts, toutes les avances et ces suppléments de fonds que vous m’avez tirés passaient à… Dirai-je le mot ?

— Dites-le, s’il vous convient.

— À la table de jeu où vous alliez chaque nuit ! Voilà le moyen précieux imaginé par vous pour faire fortune ; le voilà ! Voilà cette source secrète, mais certaine, de richesse, où tout mon argent se fût engouffré, si j’avais été aussi fou que vous le pensiez ; voilà votre inépuisable mine d’or, votre Eldorado ! hein ?

— Oui, s’écria le vieillard avec des yeux étincelants, c’était et c’est la vérité ; je le soutiendrai jusqu’à la mort.

— Se peut-il que j’aie été la dupe d’un stupide coureur de brelans ! dit Quilp en abaissant sur lui un regard de mépris.

— Je ne suis pas un coureur de brelans ! … cria le vieillard avec énergie. Je prends le ciel à témoin que jamais je n’ai joué pour gagner dans mon propre intérêt ; que jamais je n’ai joué par passion pour le jeu. À chaque coup que je risquais, je me répétais tout bas le nom de l’orpheline et j’invoquais la bénédiction de Dieu sur le coup de dé qui allait décider de notre sort… Mais Dieu ne m’a jamais béni ! Qui donc fait-il prospérer ? Les gens contre lesquels je jouais : des hommes adonnés à la dissipation, au plaisir, à la débauche, prodiguant l’or à mal faire, encourageant le vice et les excès. Voilà les hommes qu’auraient dépouillés nos gains, ces gains que, jusqu’au dernier liard, je destinais à une jeune fille innocente dont ils auraient adouci l’existence et assuré le bonheur. Et eux, au contraire, que cherchaient-ils ? Des moyens de corruption et de désordre misérable. Dites-moi qui, dans une cause telle que la mienne, n’eût pas espéré. Qui n’eût pas espéré comme moi ?

— Quand avez-vous commencé cette carrière de folie ? demanda Quilp, dont l’humeur railleuse fut dominée un moment par le chagrin farouche du vieillard.

— Quand j’ai commencé ? … répondit ce dernier passant sa main le long de ses sourcils. Quand j’ai commencé ? … Cela ne fut, cela ne pouvait être qu’au jour où je m’aperçus combien peu j’avais amassé, combien il fallait de temps pour amasser