Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 2.djvu/54

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train de devenir ivres et querelleurs. Nell, évitant de se tenir dans la petite cabine qui était aussi obscure que malpropre, et résistant aux offres réitérées et pressantes que les hommes leur faisaient à ce sujet, alla s’asseoir à l’air libre avec le vieillard à côté d’elle. Elle entendait, le cœur palpitant, les discussions violentes de ces êtres grossiers. Ah ! combien elle eût préféré pouvoir mettre pied à terre, lui fallût-il marcher toute la nuit !

Les bateliers étaient bien, en effet, des hommes rudes, bruyants, et qui se traitaient l’un l’autre avec une extrême brutalité, bien qu’ils fussent assez polis à l’égard de leurs deux passagers. Une querelle s’éleva dans la cabine entre le marinier chargé de tenir la barre du gouvernail et son camarade, sur la question de savoir lequel des deux avait le premier émis l’avis d’offrir de la bière à Nell ; cette querelle dégénéra en un combat à coups de poing qui fut ardemment engagé et soutenu des deux côtés à l’inexprimable terreur de l’enfant : cependant, ni l’un ni l’autre des combattants n’eut l’idée de faire retomber sa colère sur elle, mais chacun d’eux se contenta de la décharger sur son adversaire auquel, outre les coups, il prodigua une variété de compliments qui, par bonheur, étaient débités en une langue entièrement inintelligible pour Nell. À la fin la lutte se termina, quand l’homme qui s’était élancé hors de la cabine y eut jeté l’autre la tête la première ; après quoi, il s’empara de la barre sans laisser voir la moindre trace d’émotion, pas plus qu’il n’y en avait sur le visage du camarade qui, doué d’une constitution robuste et parfaitement endurci à ces petites bagatelles, se mit aussitôt à dormir dans la position même où il était tombé, les pieds en l’air, la tête en bas, et au bout de deux minutes ronflait tout à l’aise.

Cependant, la nuit était venue tout à fait. Bien que l’enfant ressentit l’impression du froid, pauvrement vêtue comme elle l’était, elle détournait cependant ses pénibles pensées de sa propre souffrance, de ses propres privations, et les portait tout entières sur les moyens à trouver pour assurer leur existence. Le même esprit qui l’avait soutenue durant la nuit précédente la soutenait encore en ce moment. Elle voyait son grand-père endormi tranquillement auprès d’elle et pur du crime auquel il avait été poussé par la folie. C’était une grande consolation pour Nelly.

Comme toutes les aventures de sa vie, si courte encore et