Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le souffre-douleur de Dotheboys-Hall avait appris par une longue expérience à ne pas délibérer au lieu d’obéir : il se dépêcha de flanquer la victime à la porte, et M. Squeers retourna se percher sur son tabouret, avec l’aide de Mme Squeers qui en occupait un autre à ses côtés.

« À présent, voyons, dit Squeers ; une lettre pour Cobbey. Levez-vous, Cobbey. »

Cobbey se leva et regarda la lettre fixement, pendant que M. Squeers en prenait tout bas connaissance.

« Ah ! dit Squeers, la grand’maman de Cobbey est morte et son oncle Jean s’est mis à boire ; voilà toutes les nouvelles que sa sœur lui envoie, avec trente-six sous, qui vont justement servir à payer ce carreau cassé, vous savez. Madame Squeers, ma bonne amie, voulez-vous prendre l’argent ? »

La digne ménagère empocha les trente-six sous d’un air affairé, et Squeers passa au suivant avec gravité.

« Graymarsh, dit-il, est celui qui vient après. Graymarsh, levez-vous. »

Graymarsh se lève donc à son tour, et le maître de pension parcourt la lettre, comme pour les autres.

« La tante maternelle de Graymarsh, dit Squeers, qui s’était pénétré du contenu de la lettre, est très contente d’apprendre qu’il soit si bien portant et si heureux. Elle adresse ses compliments respectueux à Mme Squeers, et la regarde comme un ange sur la terre. Elle regarde aussi M. Squeers comme trop vertueux pour ce monde ; elle espère cependant que Dieu voudra bien l’y conserver, pour continuer ses affaires. Elle aurait bien voulu envoyer à Graymarsh la paire de bas qu’il avait demandée, mais elle était à court d’argent et ne pouvait que lui adresser à la place les Pensées du chrétien, en lui recommandant de mettre sa confiance dans la sainte Providence. Elle compte surtout qu’il s’étudiera en toute chose à faire plaisir à M. et Mme Squeers, et à les considérer comme ses seuls amis au monde. Qu’il aime aussi le jeune M. Squeers et ne fasse plus aucune difficulté de coucher cinq dans un lit, ce qui serait une conduite peu chrétienne. Ah ! dit Squeers, repliant le papier, quelle lettre délicieuse ! on ne peut plus touchante vraiment ! »

Ce qu’il y avait de plus touchant en effet, c’est que la tante maternelle de Graymarsh était regardée par ses amis les plus intimes comme la véritable mère de l’enfant. Toutefois, sans faire allusion à cet accident (ce qu’il eût trouvé trop immoral devant des élèves), il poursuivit le cours de ses opérations en appelant « Mobbs ». Mobbs se leva et Graymarsh retourna à sa place.