Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/124

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colas, ce qu’elle fit avec de grands symptômes d’alarme et d’effroi. Grâce à cette double intervention, Browdie et lui échangèrent, à travers la table, une poignée de mains avec beaucoup de gravité ; et le cérémonial en fut d’une nature si imposante que miss Squeers en versa des larmes d’émotion.

« Qu’est-ce que tu as, Fanny ? dit miss Price.

— Je n’ai rien, Tilda, répondit miss Squeers en sanglotant.

— Il n’y a jamais eu de danger, dit miss Price. N’est-ce pas, monsieur Nickleby ?

— Pas le moins du monde, reprit Nicolas. C’est absurde.

— C’est bon, lui dit à l’oreille Mlle Price, dites-lui quelque bonne parole et elle va venir à vous… Là ! désirez-vous que John et moi nous nous retirions un moment dans la cuisine ? nous allons revenir.

— Comment ! n’en faites rien, au nom du ciel ! reprit Nicolas, alarmé de cette proposition. Et pourquoi faire ?

— Alors, lui dit miss Price, hochant la tête de son côté et lui adressant la parole avec un air quelque peu méprisant. Je vois ce que c’est, c’est seulement comme distraction.

— Que voulez-vous dire ? dit Nicolas. Je ne suis pas homme du tout à chercher ce genre de distraction, surtout ici ; dans tous les cas ; je ne puis pas comprendre…

— Ni moi non plus, reprit miss Price ; mais ce que je ne comprends que trop, c’est que les hommes ont toujours été, sont et seront toujours des volages.

— Volages ! s’écria Nicolas. Vous supposez donc… mais non, il n’est pas possible que vous croyiez…

— Qui ! moi ? je ne crois rien du tout, répondit miss Price d’un air résolu. Regardez-la avec sa belle toilette qui lui sied si bien ; réellement elle est presque jolie. Tenez ! vous m’impatientez.

— Mais, ma chère demoiselle, qu’ai-je à faire avec cette belle toilette qui lui va si bien ? demanda Nicolas.

— Allons ! ne m’appelez pas votre chère demoiselle, dit Mlle Price en souriant, car elle était jolie, et aussi légèrement coquette ; Nicolas, de son côté, était un jeune homme de bonne mine, et, de plus, elle le considérait déjà comme appartenant à d’autre liens, toutes raisons pour n’être pas fâchée de penser qu’elle avait fait sur lui quelque impression. Ne m’appelez pas votre chère demoiselle, ou Fanny dirait que c’est de ma faute. Voyons, venez, nous allons jouer une partie de cartes. »

Ces derniers mots furent prononcés à haute voix, comme elle s’en allait rejoindre le gros garçon du Yorkshire.