Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/160

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elle aurait volontiers crevé de dépit à l’idée d’une pareille humiliation.

Cependant, au milieu de ces mortifications, une consolation lui reste : maintenant qu’il est clair qu’elle a le droit de haïr et de détester Nicolas à cœur joie, digne fille de la noble maison des Squeers, elle va pouvoir tous les jours, à chaque heure du jour, humilier l’orgueil de cet homme, et lui infliger quelque vengeance par ces petites insultes, ces privations répétées, auxquelles ne pourrait résister la créature la plus insensible, mais plus insupportables encore pour un vaniteux comme Nicolas. Une fois ce plan bien arrêté dans son esprit, elle se tira du mieux qu’elle put de cette entrevue malencontreuse sous les yeux de son amie, en déclarant que décidément l’originalité et le caractère emporté de Nicolas lui faisaient craindre d’être obligée de renoncer à lui, et là-dessus elle la quitta.

Il faut dire aussi que miss Squeers, quand elle avait gratifié Nicolas de son affection, ou de ce qu’à défaut d’affection elle pouvait lui donner de mieux dans ce genre, n’avait jamais un moment supposé la possibilité de le trouver là-dessus d’une autre opinion que la sienne. Miss Squeers partait de ce principe : premièrement qu’elle était belle et attrayante ; puis que son père était le maître de Nicolas, Nicolas le serviteur de son père ; que M. Squeers avait de l’argent devant lui, que Nicolas n’avait pas un sou : comment ne pas croire, après des arguments si concluants, que le jeune homme ne se sentirait pas honoré de la préférence ! Elle n’avait pas manqué non plus de supputer tous les avantages qu’il trouverait dans son amitié, pour rendre sa situation dans la maison plus agréable, tous les inconvénients au contraire qu’il y aurait pour lui à en faire son ennemie. Et en effet, il y a bien des gens moins scrupuleux que Nicolas qui auraient encouragé ses chimères extravagantes, ne fût-ce que par la considération de ces raisons palpables et très évidentes. Et cependant lui, Nickleby, il n’avait pas craint de faire tout le contraire, il avait défié la rage de Mlle Squeers !

« C’est bon ! il verra, dit la jeune demoiselle furieuse, quand elle eut regagné sa chambre, et soulagé son cœur par quelques bons soufflets administrés à Phœbé. Il verra si je ne lui détache pas un peu bien ma chère mère, quand elle va revenir ! »

En vérité, Mme Squeers était déjà assez mal disposée envers lui pour que miss Fanny pût se dispenser de l’exciter encore, cependant elle tint parole. Et le pauvre Nicolas, déjà mal nourri, logé d’une manière indécente, condamné à voir autour de lui le spectacle continuel d’une avarice sale et sordide, se vit dès