Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/168

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dortoir étant évacué, elle se trouva en tête-à-tête avec son époux.

« Il n’est pas ici, dit Mme Squeers ; l’écurie et l’étable sont fermées à clef, il ne peut donc pas y être ; il n’est pas non plus en bas, car la fille l’a cherché partout. Il faut qu’il soit allé du côté d’York, et encore par la grande route.

— Pourquoi cela ? demanda Squeers.

— Faut-il que vous soyez stupide, dit Mme Squeers courroucée ; il n’avait pas d’argent, n’est-ce pas ?

— Il n’a jamais su de sa vie ce que c’était que d’avoir un sou, répliqua Squeers.

— Assurément, reprit sa dame ; et, de plus, je puis vous répondre qu’il n’a rien emporté pour manger en route. Ha ! ha ! ha !…

— Ha ! ha ! ha !… fit Squeers riant à l’unisson.

— Eh bien ! alors, dit Mme Squeers, il faut donc bien qu’il demande l’aumône en chemin, ce qu’il ne peut faire que sur la grande route.

— C’est vrai ! s’écria Squeers battant des mains.

— Certainement que c’est vrai, mais ce n’est pas vous qui y auriez jamais pensé sans moi, reprit sa femme ; maintenant, vous n’avez qu’à prendre la carriole ; moi, j’emprunterai celle de Swallows ; nous irons chacun de notre côté : nous tiendrons les yeux bien ouverts, nous nous informerons le long du chemin, et nous aurions bien du malheur si l’un de nous ne mettait pas la main dessus. »

Le plan de la vénérable Mme Squeers fut adopté et mis à exécution sans délai. Après un déjeuner fait à la hâte et quelques informations prises dans le village, dont le résultat fut de les convaincre qu’ils étaient bien sur la trace, Squeers partit dans sa carriole, bien décidé à découvrir et à punir sa victime. Presque aussitôt Mme Squeers, encadrée dans son capuchon blanc et cuirassée d’une infinité de châles et de mouchoirs bien serrés autour d’elle, s’élança dans une autre direction, trônant au haut d’une autre carriole.

Elle s’était munie d’une trique de taille raisonnable, de quelques bouts de grosse corde, et s’était donné pour garde du corps un grand et robuste manœuvre. Tout avait donc été prévu et exécuté pour assurer le but de l’expédition, la prise du fugitif. Une fois au pouvoir de l’ennemi, il ne pouvait échapper.

Nicolas restait à la maison dans une grande agitation d’esprit ; il savait bien que, quelle que fût l’issue de l’évasion de Smike, il n’en pouvait toujours résulter que des conséquences