Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/20

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d’hommes-affiches qui couraient des bordées par un vent affreux pour tourner aux passants les avis gigantesques sous le poids desquels ils étaient courbés, annonçant au public qu’à une heure précise il se tiendrait une réunion, pour prendre en considération la nécessité d’adresser au parlement une pétition en faveur de la Compagnie de l’Union métropolitaine pour le perfectionnement des petits pains chauds et tartelettes, rendus exactement à domicile. Capital soixante-quinze millions, divisés en cinq cent mille actions de deux cent cinquante francs. Toutes ces sommes rebondissaient en chiffres monstres d’un noir luisant. M. Bonney joua du coude hardiment au travers de la foule, et monta l’escalier en recevant le long du chemin une foule de révérences respectueuses des huissiers qui se tenaient sur les paliers pour introduire le monde ; et suivi de M. Nickleby, il plongea dans une enfilade de chambres derrière la grande salle où se tenait le public. Il entra dans un cabinet où se tenaient autour d’une table des hommes d’affaires, à ce qu’il semblait.

« Silence ! s’écria un monsieur à double menton, en voyant M. Bonney se présenter en personne. Un fauteuil, messieurs, un fauteuil ! »

Les nouveaux venus furent accueillis par un sentiment de bienveillance universel, et M. Bonney s’empressa d’aller prendre le haut bout de la table, ôta son chapeau, passa ses doigts dans ses cheveux, prit un petit marteau dont il donna sur la table un coup à tout rompre, sur quoi plusieurs messieurs crièrent : Silence ! et se firent mutuellement d’aimables signes de tête qui voulaient dire : Hein ! quel gaillard ! Au même instant un huissier, dans une agitation fiévreuse, se précipita dans la chambre, et ouvrant la porte avec fracas, cria à tue-tête : « M. Mathieu Pupker ! » Le comité se leva et battit des mains pour exprimer sa joie ; puis, pendant qu’ils battaient des mains, entra M. Mathieu Pupker, escorté de deux membres à vie du parlement, l’un d’Irlande et l’autre d’Écosse, tous souriant, saluant, ayant un air si agréable qu’on se demandait avec étonnement comment on pourrait avoir le cœur de voter contre des personnages si avenants. Sir Mathieu Pupker surtout, qui avait une petite tête ronde, surmontée d’un joli toupet de filasse, tomba dans un paroxysme de salutations si empressées, qu’à chaque instant le toupet menaçait de faire un plongeon. Quand ces symptômes se furent un peu calmés, ceux de ces messieurs qui étaient en position de converser avec sir Mathieu Pupker, ou les deux autres membres du parlement, formèrent autour d’eux trois petits groupes, près desquels les autres moins heureux se tenaient languissamment,