Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dre ? demanda Nicolas en relevant la tête ; montrez-moi dans ce vaste désert de Londres quelque moyen honnête de gagner seulement le loyer de ce misérable réduit, et vous verrez si je recule. Que puis-je craindre ? Ah ! croyez-moi, mon ami, j’ai passé par de trop rudes épreuves pour faire l’orgueilleux ou le délicat ; je n’en excepte, ajouta-t-il à la hâte après un court silence, je n’en excepte que cette délicatesse qui constitue l’honnêteté, et l’orgueil qui se fonde sur l’estime de soi-même. Du reste, je ne vois pas grande différence entre le malheur de servir d’auxiliaire à un pédant brutal, ou d’avaler des couleuvres au service d’un parvenu bas et insolent, fût-il ou non membre du Parlement.

— Je ne sais vraiment pas si je dois ou non vous parler de ce que j’ai entendu dire ce matin, dit Newman.

— Cela a-t-il quelque rapport à ce que vous me disiez tout à l’heure ? demanda Nicolas.

— Oui.

— Alors, au nom du ciel ! mon bon ami, dites-le-moi. Je vous en prie en grâce. Songez à mon état déplorable, et, puisque je vous promets de ne pas faire un pas sans vous demander conseil, au moins venez en aide à mon embarras. »

Sensible à cette prière, Newman se mit à balbutier une infinité de phrases incompréhensibles, embarrassées les unes dans les autres, dont la conclusion fut que Mme Kenwigs l’avait sondé longuement, le matin même, sur la vie passée, les aventures, la généalogie de Nicolas ; que Newman avait esquivé longtemps toutes ces questions, mais qu’à la fin, mis au pied du mur par ses instances, il était allé jusqu’à représenter Nicolas comme un professeur de grand mérite, victime d’accidents malheureux qu’il ne lui était pas possible de révéler et qui portait le nom de Johnson. Mme Kenwigs, cédant ou à un sentiment de reconnaissance, ou à l’ambition, ou à l’orgueil maternel, ou à la tendresse de son cœur de mère, ou à ces quatre motifs puissants réunis ensemble, avait conféré secrètement avec M. Kenwigs, et, à l’issue de cette conférence, elle avait fini par proposer que M. Johnson enseignât aux quatre demoiselles Kenwigs à parler français, comme des parisiennes pur sang, moyennant six francs vingt-cinq centimes par semaine, payables en monnaie courante du royaume. C’était donc à raison de vingt-cinq sous par tête. Il y avait un excédent d’un franc vingt-cinq centimes dont on ne parlait pas, en attendant que le nouveau-né pût en profiter en prenant lui-même une leçon de grammaire.

Et ce ne sera pas long, ou je serais bien trompée, avait