Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pour elle, madame Mantalini, et, comme disait à l’acheteur le maquignon qui voulait vendre son cheval aveugle, la pauvre bête n’en est que plus intéressante.

— Son oncle m’avait dit, remarqua Mme Mantalini, qu’on la trouvait jolie ; moi, je trouve que c’est une des petites filles les plus ordinaires que j’aie rencontrées.

— Ordinaire ! s’écria Mlle Knag (le visage rayonnant de joie), et gauche par-dessus le marché. Eh bien, tout ce que je puis dire, madame Mantalini, c’est que je l’aime tout à fait, la pauvre fille ! et quand elle serait deux fois plus ordinaire et deux fois plus gauche qu’elle n’est, je n’en serais que plus sincèrement son amie, sur ma parole. »

Le fait est que Mlle Knag avait conçu un commencement d’affection pour Catherine Nickleby, dès le moment même où elle avait vu son échec auprès de la grande dame du matin, et le petit bout de conversation qu’elle venait d’avoir avec Mme Mantalini avait encore augmenté d’une manière étonnante ses bonnes dispositions pour elle. Or, la chose est d’autant plus digne de remarque, que le premier coup d’œil qu’elle avait donné à la figure et à la tournure de la jeune fille lui avait laissé un certain pressentiment qu’elles ne s’accorderaient jamais.

« Mais à présent, dit Mlle Knag en se regardant de près dans la glace, je l’aime, oui, véritablement je l’aime, je le déclare hautement. »

Telle était la nature de cet attachement, de ce dévouement désintéressé ; il était tellement au-dessus des petites faiblesses de la flatterie ou des illusions, que l’excellente Mlle Knag, dès le lendemain, avoua sans artifice à Catherine qu’elle voyait bien qu’elle ne réussirait jamais dans l’état ; mais qu’elle n’avait que faire de s’en tourmenter le moins du monde, parce qu’elle, Mlle Knag, ferait de son côté tout ce qu’elle pourrait pour ne pas la mettre en évidence, et que, par conséquent, elle n’aurait rien autre chose à faire, que de se tenir parfaitement tranquille devant le monde, évitant soigneusement tout ce qui pourrait attirer sur elle l’attention. Ce dernier conseil répondait si bien aux sentiments intimes et aux vœux les plus chers de la timide jeune fille, qu’elle promit aisément d’obéir en tout point aux recommandations de l’excellente vieille fille, sans examiner les motifs qui les lui dictaient, sans même y réfléchir un moment.

« Ma parole d’honneur, ma chère amie, je prends à vous un vif intérêt, un intérêt de sœur, de sœur véritable ; je n’ai jamais éprouvé un sentiment si étrange. »

Et, en effet, ce qu’il y avait de plus étrange dans ce sentiment,