Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/245

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deux minutes après il emprunta cinq cents francs à votre pauvre cher père. »

Après avoir cité cet éclatant témoignage et surtout si désintéressé de M. Watkins en faveur de sa fille, Mme Nickleby s’arrêta pour reprendre haleine. Mais Mlle Knag, voyant que l’on mettait sur le tapis la grandeur relative des familles, saisit, sans perdre de temps, la balle au bond, pour se faire valoir à son tour.

« Ne me parlez pas de prêter de l’argent, madame Nickleby, dit miss Knag, ou vous me rendrez folle, tout à fait folle ; maman… hem ! était la plus aimable et la plus belle créature avec le… hem ! le nez le plus saisissant et le plus distingué qui ait jamais orné figure humaine, si je ne me trompe, madame Nickleby (ici miss Knag par un mouvement sympathique se frottait le nez elle-même) ; la femme la plus délicieuse, la plus habile qu’on ait jamais vue peut-être, mais chacun a ses faiblesses ; la sienne était de prêter de l’argent, et elle l’a portée si loin qu’elle a prêté… hem ! hem ! oh ! des milliers de guinées, toute notre petite fortune, madame Nickleby ; et, ce qu’il y a de pis, c’est que nous vivrions jusqu’à… jusqu’à la fin du monde, que nous ne les rattraperions jamais, j’en ai peur. »

Après ce bel effort d’invention, miss Knag, sans s’interrompre, tomba dans une foule d’autres réminiscences aussi vraies qu’intéressantes dont Mme Nickleby essaya, mais en vain, d’arrêter le débordement. Voyant pourtant qu’elle n’y réussissait pas, elle finit par louvoyer et par chercher dans ses propres souvenirs un autre courant où elle pût faire voile à son tour. C’est ainsi que ces deux dames marchèrent de conserve, causant ensemble le long du chemin dans un parfait contentement. Toute la différence qu’il y avait entre elles, c’est que Mlle Knag avait dans Catherine, à laquelle elle s’adressait à haute voix, un auditoire obligé, tandis que Mme Nickleby était réduite à se contenter de parler dans le désert sans s’inquiéter s’il y avait ou non des oreilles ouvertes au bruit monotone de son babil incessant.

Après avoir ainsi continué leur route d’une manière amicale, elles arrivèrent enfin chez le frère de Mlle Knag, qui tenait une boutique de papiers de fantaisie et un petit cabinet de lecture dans une rue de traverse aux environs de Tottenham-Court-Road. Il louait au jour, à la semaine, au mois, à l’année, les vieux romans, les plus nouveaux qu’il pût avoir, dont on voyait pendre à sa porte les titres énoncés en caractères écrits à la main sur une feuille de carton. Miss Knag en était juste au moment où elle racontait le refus qu’elle avait fait de la vingt-deuxième demande en mariage, dont elle avait été l’objet de la