Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/263

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— Qu’est-ce qui se passe, milord ? demanda Ralph du bout de la table où il était flanqué de MM. Pyke et Pluck.

— Voilà un camarade qui accapare votre nièce, dit lord Frédéric.

— Vous savez, milord, dit Ralph avec un rire moqueur, qu’il prélève toujours une part raisonnable sur les biens auxquels vous pouvez prétendre.

— Ce n’est que trop vrai, reprit le jeune homme ; le diable m’emporte si je peux reconnaître à présent qui est le maître de lui ou de moi dans ma maison.

— Je le sais bien, dit Ralph entre ses dents.

— Vous verrez que je serai obligé de m’en débarrasser en lui léguant un schelling par testament, dit le jeune gentilhomme en plaisantant.

— Non, non, je ne veux pas de cela, de par le diable ! dit sir Mulberry. Quand vous en serez réduit à un schelling, à votre dernier schelling, n’ayez pas peur, je ne vous donnerai pas la peine de vous débarrasser de moi ; mais, par exemple, jusque-là je ne vous lâcherai pas, vous pouvez m’en croire sur parole. »

Cette saillie, fondée sur des faits irrécusables, fut accueillie par un hourra général, dominé par les éclats bruyants de MM. Pyke et Pluck, évidemment les deux flatteurs en titre de sir Mulberry. Au fait il était facile de voir que la plus grande partie des convives était venue à la curée du malheureux jeune lord, qui, malgré sa faiblesse et son esprit court, était, sans contredit, et de beaucoup le moins vicieux de la compagnie. Sir Mulberry Hawk était renommé pour son habileté à ruiner, par lui-même et par ses agents, de jeunes gentilshommes de riche condition : profession élégante et distinguée où il était passé maître. Grâce à l’intrépidité de son génie sans pareil, il avait même inventé un système tout nouveau, le contre-pied de l’ancienne méthode. Une fois qu’il avait jeté le grappin sur une victime, au lieu de s’asservir à ses volontés, il se faisait un point d’honneur de lui imposer la sienne, et d’exercer sur lui publiquement et sans réserve l’ascendant de sa direction. Ses dupes lui servaient ainsi de but et de plastron, et, tout en vidant gentiment leur gousset, il se donnait encore le plaisir de leur administrer de temps en temps quelque tape bien appliquée pour l’amusement de la cantonade.

Il ne manqua rien au dîner ; il répondit, pour la magnificence de l’ensemble et l’abondance des détails, à l’ameublement de la maison, et nous devons à la société en général, à MM. Pyke et Pluck en particulier, la justice de dire qu’ils se signalèrent par